Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
COCARDASSE ET PASSEPOIL

allaient avoir de trouer le corps aux auxiliaires de Lagardère tout le monde devait en être pour ses frais.

Au coucher du soleil, la Baleine et Gendry se rendirent donc au cabaret de Crèvepanse, tandis qu’Yves de Jugan et Raphaël Pinto entraient au Trou-Punais, où il n’y avait pas une table occupée.

— Comment ! pas encore arrivés, nos camarades d’hier ?… demanda Yves de Jugan dès qu’il eut parcouru la salle d’un regard.

— Je n’ai rien vu, répondit la Paillarde. D’ailleurs, il n’est pas encore l’heure.

— J’espérais les trouver en avance et les prier à souper avec nous.

— Tudieu ! s’écria Pinto, pourvu qu’ils n’aillent pas nous manquer ce soir ; mon gousset est presque vide et j’ai besoin de leur gagner quelques écus pour me refaire.

— Holà !… tout beau !… interrompit l’hôtelière. Je serai du jeu la première et, si quelqu’un doit gagner, il me parait honnête que ce soit la maîtresse du logis.

— On verra cela, la belle, ripostèrent les jeunes gens. En attendant, servez-nous à souper et tirez du vin pour Cocardasse ; il aura soif en arrivant ici. Une bonne heure se passa pendant laquelle les deux gaillards jouèrent des mâchoires avec cette supériorité que donne un appétit de vingt ans. C’est à peine si de temps en temps ils levaient la tête pour échanger quelque gras quolibets avec les servantes.

Les prévôts n’arrivaient pas et la Paillarde, sensiblement énervée par cette attente, faisait une navette perpétuelle de sa chaise à la porte.

Les jeunes gens, qui avaient entamé une partie de dés, paraissaient également inquiets et pas du tout à leur jeu. Yves de Jugan sortit même pendant quelques instants et, après un coup de sifflet donné devant la porte du cabaret de Crèvepanse, fut rejoint par Gauthier Gendry.

— Sont-ils là ? demanda celui-ci.

— Pas encore ; ils ont pu être retardés, mais je suis certain qu’ils viendront.

— C’était bien convenu pour ce soir ?

— Absolument.

— N’oublie pas de griser Cocardasse et tous les deux si tu peux. Quand ils seront prêts à partir, viens me faire le signal, je t’attendrai.

Yves de Jugan vint retrouver Pinto et l’attente se prolongea près d’une heure encore.

— Ils ne viendront pas, grommelait la Paillarde ; gare à ce Passepoil s’il essaie de se moquer de moi !

— Le fait est qu’il aurait grand tort, dit ironiquement Pinto. Quand on a le bonheur d’avoir gagné les bonnes grâces de Vénus, il ne serait pas pardonnable de les dédaigner.

— Tais-toi, mirliflore, fit la femme, mes bonnes grâces ne sont pas pour un cadet de ta sorte, et je m’arrangerai bien avec ceux pour qui je les garde.

— Et s’ils ne venaient pas, reprit Raphaël en veine de contrarier l’hôtesse, peut-être aurions-nous la chance d’être agréés pour les remplacer ?

— Morveux !… je t’ai dit de te taire, gronda la Paillarde qui s’avança la main levée.

Pinto fit le plongeon sous la table.

Yves de Jugan mit le holà… Ce n’était pas le moment de se faire jeter à la porte.