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COCARDASSE ET PASSEPOIL

péfaction, cet effort n’eut pour résultat unique que de lui faire constater que son haut-de-chausses faisait corps avec la borne. Un énorme juron sortit de sa gorge. Toutefois, ce juron n’ayant pas qualité pour le délivrer, il fit de nouvelles tentatives en sacrant formidablement, ce qui ne fit pas mieux aller les choses. Elles allèrent même si mal que le fond de la culotte, après un craquement de mauvais augure, resta adhérent à la pierre.

Peut-être le bonhomme eût-il procédé avec plus de précautions et de méthode s’il en eût eu le loisir ; par malheur il venait d’apercevoir la silhouette de Cocardasse et ne songeait qu’à s’en aller ailleurs au plus vite. Aussi préféra-t-il y laisser des bribes d’étoffe et s’esquiver en serrant les pans de son justaucorps.

Quant à savoir comment cela s’était passé, il ne put y parvenir et, après avoir soupçonné le jeune homme, il en arriva à se dire que c’était lui le coupable de n’avoir pas regardé où il s’asseyait.

Maintenant, si l’on veut avoir l’explication de la frayeur que lui inspiraient les prévôts et Cocardasse en particulier, elle est dans ce fait que le marchand d’amandes, grimé du mieux possible, n’était autre que la Baleine, l’ex-soldat aux gardes, actuellement à la solde de Gonzague avec Gauthier Gendry pour chef direct.

Gauthier Gendry savait bien que Lagardère était parti, mais il voulait aussi savoir quand il reviendrait et il n’était pas fâché non plus de connaître ce qui se passait dans l’hôtel et de s’assurer s’il n’y aurait pas un moyen d’enlever Aurore.

Cocardasse et Passepoil, on le voit, n’avaient que trop de raisons de se défier, bien qu’ils n’eussent pas reconnu leur adversaire. Toutefois, dans la circonstance, Berrichon devait être plus malin qu’eux et les débarrasser de ce gêneur.

Le soir même, il alla nettoyer la borne, de façon à ce que la Baleine y pût reprendre sa place.

Quand celui-ci arriva, il examina son siège avec soin, passa la main sur la pierre et, certain cette fois qu’aucun accident n’était à craindre, il lança son boniment d’une voix de stentor :

Assez mal vit qui ne s’amende !
Bonnes femmes, où êtes-vous ?…

Là, il dut s’arrêter. Une énorme pomme, lancée d’une main sûre, vint choir au beau milieu de la bannette, projetant les amandes de tous côtés.

Et, d’un bout de la rue à l’autre, pas une âme !

La Baleine regarda en haut, en bas, rien. Toutes les portes, toutes les fenêtres étaient closes. Il ne se donna même pas la peine de ramasser ses fruits et s’en alla en maugréant.

Ses tribulations ne faisaient que commencer. À chaque fois qu’il revint, nouveau projectile. Il en pleuvait de droite, de gauche ; des oignons tombaient du toit ; un chat vint s’abattre sur sa tête et s’y agriffa douloureusement pour son cuir chevelu ; il reçut au beau milieu du dos le contenu d’un plat d’épinards qui semblait venir du ciel, et vainement il interrogeait l’horizon, il ne voyait jamais personne.

La position n’était plus tenable, la Baleine s’entêtait pourtant à y revenir. Outre le motif qui l’y avait amené tout d’abord s’en joignait un autre :