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COCARDASSE ET PASSEPOIL

le Gascon apparaissait, ce qui ne faisait que confirmer les soupçons de ce dernier.

— Vivadiou !… Paraît que ma tête ne lui revient pas, à ce particulier, et la sienne me produit le même effet. Faudrait voir un peu d’où sort cet oiseau-là…

— Je ne le connais pas, mon noble ami, répondait Passepoil ennuyé d’une rebuffade qu’il venait de recevoir de Madeleine Giraud, la vieille nourrice de Mlle  de Nevers. Il doit être d’un certain âge puisqu’il a les cheveux gris, et je n’ai jamais vu personne boiter comme lui.

— Raison de plus, mon petit prévôt, pour l’envoyer pousser autre part son cri de hibou.

— S’il se défie de nous, c’est qu’il y a du louche.

— Du louche, je te crois, ma caillou !… Te figures-tu donc qu’il se plante là pour rien pendant des heures entières ?…

— Non ; mais le moyen de le surveiller, puisqu’il s’en va dès qu’il nous aperçoit ?… M’est avis qu’il nous connaît, Cocardasse.

— Eh ! sandiéou !… j’en suis sûr… mais peut-être qu’il ne connaît pas Berrichon et le petiot pourrait le tenir à l’œil…

— Bonne idée que tu as là…

— Pécaïré !… nous saurions s’il ne faut pas lui casser ses amandes, en même temps que la tête.

Les deux prévôts et Jean-Marie tinrent conseil.

Ce dernier ne fut pas peu fier de la mission délicate et de confiance qu’on l’appelait à remplir.

— Vois-tu, pitchoun, lui dit le Gascon, il se peut faire que ce grand diable vienne là par hasard ; mais il peut se faire aussi que ce soit pour nous espionner. Dans le doute…

— Si on le lui demande, il se gardera bien de dire la vérité, opinia le naïf Berrichon.

— Oïmé !… mon pétiot, cette déduction pleine de sens, elle prouve ta grande innocence !

— Oui, mais j’allais ajouter quelque chose…

— Parle un peu, qu’on sache, demanda Passepoil. Pourtant, tu feras bien d’agir de ruse et de prendre garde à tes chausses. Le gaillard est de taille, il doit avoir le poignet solide.

S’il n’eût été d’une ignorance méritoire, Berrichon eût pu répondre que David avait bien tué Goliath, mais cette citation fût tombée dans l’oreille de deux sourds, le Gascon n’ayant jamais su un traître mot de cette histoire, et le Normand n’en ayant conservé aucun souvenir.

— Si seulement j’avais une épée, comme vous, dit Jean-Marie en redressant sa taille, je me battrais avec dix de sa force.

— Ne te bats pas avec celui-là, petit, conseilla le prudent Passepoil. Contente-toi seulement de voir ce qu’il fait quand il est assis sur sa borne et préviens-nous.

— Pécaïré ! nous nous chargeons du reste.

— Faudra-t-il le forcer à décamper ?…

— Ce serait le meilleur moyen, répondit Amable. Dis-nous un peu ton plan.

— Pas la peine, vous pouvez vous fier à moi. S’il est encore là dans trois jours, je ne m’appelle plus Berrichon.