Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Patience… donc, mon bon, cela viendra plus tard. Mais sandiéou !… quand Cocardasse junior et frère Passepoil ils t’auront appris à tenir le fer… comme ils l’apprenaient jadis en leur académie de la rue Croix-des-Petits-Champs, à deux pas du Louvre, tu pourras te moquer de tout l’univers.

— Oh ! oui… je sais que vous êtes des braves.

— Ceux qui t’ont dit cela t’ont pas menti. Si tous ceux que les deux prévôts ont couchés sur le sol étaient au bout les uns des autres… cornebiou !… il y a beau temps que le chapelet il ferait le tour de Paris.

Berrichon le regardait avec admiration.

Le Gascon poursuivit en tirant sa rapière avec respect :

— Cette lame, vois-tu, a touché plus de poitrines que tu n’as de cheveux sur le crâne… jamais elle n’a manqué son homme, sandiéou !

— Jamais ?

— Jamais !

— Mais elle a beaucoup de rouille, observa Jean-Marie.

— Tu appelles cela de la rouille ? s’écria Cocardasse scandalisé ; c’est du sang !

— Du sang !

— Que veux-tu, reprit le Toulousain d’une voix amoureusement émue ; cette folle de Pétronille ne peut pas se tenir tranquille… Quand on agace son seigneur et maître… elle frémit de la pointe à la garde… elle s’élance elle-même hors du fourreau ; quand une fois elle est en jeu, elle touche, et quand elle touche, elle tue !

— Souvent ?

— Toujours !

— Pas possible ! exclama Berrichon.

— Eh ! bagasse ! hurla le maître révolté ; on doute de vous, Pétronille, ma chère !

Et faisant le geste de pousser une botte, il ajouta :

— Té ! elle va toute seule te trouver, imprudent ! Où veux-tu qu’elle te touche ?… Comment veux-tu qu’elle te tue ?

Jean-Marie fit un bond de côté.

— Eh ! eh ! fit-il, qu’est-ce qui vous prend ?

Puis, voyant que Cocardasse se calmait, il demanda pour l’amadouer :

— Vous n’avez jamais été blessé ?

— Des enfantillages, petit, quelques trous au justaucorps. Le malin, vois-tu, quand on est maître ès pointes et bottes savantes, c’est d’arrêter les lames des autres juste au moment où elles vont toucher votre basane… pas une seconde plus tôt ni plus tard.

— Diable !… Comment fait-on ?

— Jusqu’à présent, je n’ai connu qu’un moyen, et je crois que c’est le bon : c’est de tuer net son adversaire. On t’apprendra ce jeu-là, petit, sitôt que le cœur t’en dira.

— Il m’en dirait tout de suite, si vous vouliez, monsieur Cocardasse, affirma Jean-Marie, prenant tranquillement son parti de devenir un tueur émérite. Votre élève fera honneur à ses maîtres.

— On y compte, jeune coq ; mais il te faudra des années et des coups pour être à peu près de notre force. Quand tu en seras là, pitchoun, souviens-toi toujours qu’il y a quelqu’un qui est plus fort que tous.