Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LA GRANGE-BATELIÈRE

Quand tous les quatre se retrouvèrent en face l’un de l’autre, il y eut un moment de gêne, on se fit les gros yeux.

— Qu’est-ce que vous venez faire ici, vous autres ?… demanda dame Françoise, les deux poings sur les hanches. Je pense bien qu’on ne garde pas dans une maison honnête des gens comme vous qui brutalisent les femmes et les enfants…

— Pécaïré, répliqua Cocardasse, c’est là ce qui vous trompe, ma bonne femme. Mais dites-moi un peu où nous avons eu déjà le plaisir de nous rencontrer…

— Le plaisir !… bougonna la bonne femme, vous avez un toupet, vous encore !

— Je sais bien où, moi, murmura Passepoil, c’était rue du Chantre, le jour du bal du Régent…

— Ah ! oui… Vivadiou ! je me souviens… la vieille que nous avions ficelée comme un saucisson de Mayence… Tous mes compliments, estimable dame ; vous vous défendîtes comme un homme et c’ta couquin d’Amable y perdit, je crois, une bonne poignée de cheveux.

— Insolent ! s’écria Françoise, furieuse d’être traitée de vieille, expression que n’avait pu effacer celle d’estimable dame.

— Nous devons des excuses, dit Passepoil, il faut les faire, Cocardasse. Demandons pardon d’avoir usé de force vis-à-vis du beau sexe.

— Fais-en, Passepoil ; moi je m’étais chargé du petit et, cornebiou !… ce n’est pas Cocardasse qui fera des excuses à un blanc-bec.

— Gardez-les donc ! s’écria Jean-Marie. Je m’en moque comme de la semelle de mes chaussures. Je n’ai plus peur de vous, maintenant. Et se haussant jusque sous le nez du Gascon :

— Venez donc me ficeler à présent, ajouta-t-il d’un air de dédain.

— Oïmé !… gronda Cocardasse en riant, le pitchoun, il n’a pas le foie blanc. Tope-là, mon gaillard, on ne veut plus te ficeler si tu es sage. Enfin, grâce à l’intervention pacifique de Passepoil, la réconciliation ne tarda pas à être si complète que Françoise cuisinait quelques jours après de bons petits plats pour le Normand et que Berrichon ne quittait plus ses deux nouveaux amis.

Or, Cocardasse avait un principe. Pour lui, tout jeune gars de seize ans suffisamment bien bâti, solide sur les jarrets et sain de corps, — il se préoccupait fort peu de l’esprit, — ne devait avoir qu’une ambition : devenir un prévôt. Jean-Marie ne devait pas y échapper et le Gascon, en vidant une bouteille à leur nouvelle amitié, ne tarda pas à lui faire un discours en trois points destiné à l’éclairer sur le choix d’une carrière.

— Tu as le bras long, pitchoun : il te faut une épée au bout. Il se mit à le tourner et à le retourner en tous sens, à le tâter comme un maquignon qui achète un cheval.

— Bon… les jambes bien fendues, les épaules carrées… va bien… La poitrine est encore un peu maigre… les coups de bouton l’élargiront… la pousseront en avant… Ah ! caramba ! la pointe des pieds elle est en dedans… il faudra corriger, eh donc ! Cela te va-t-il, petiot, qu’on t’enseigne le noble métier des armes ?

— J’aurais pas osé vous le demander, répondit Jean-Marie dont les yeux s’illuminèrent. Alors, moi aussi, je pourrai porter une épée au flanc ?