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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— J’y ai toujours pas vendu celui-là, s’écria la marchande en plaquant une énorme motte sur le visage de la Guichard.

Ce fut le signal. Une des commères prit le balai, une autre le tisonnier… On sait ce que c’est qu’une bataille de femmes. Quand elle a lieu entre commères de la rue du Chantre, toute description en serait superflue.

La Guichard hurlait, criait au secours ; mais personne ne lui venait en aide, et les hommes, groupés à la porte, s’égayaient de ce spectacle. Quand elle sortit de là, échevelée, en loques, suffisamment rossée et écumant de rage, elle alla se terrer chez elle et prit soin de barricader sa porte.

Jean-Marie manquait à cette scène, mais le petit avait pour l’instant autre chose à faire.

Il était en présence de M. de Machault.

Ce haut fonctionnaire essayait de débrouiller quelque chose dans le rapport du sergent et n’y parvenait pas. Il ne fut pas plus heureux d’ailleurs en s’adressant à Françoise, dont la mine apeurée lui inspirait plutôt la pitié.

— Voyons, ma brave femme, lui demanda-t-il, expliquez-moi…

— Eh ! mon bon monsieur, qu’est-ce que vous voulez que je vous explique ? J’sais t’y quelque chose, moi, et pourquoi qu’ils étaient là, autour de mon petiot, comme des bêtes ?… J’ai voulu le défendre, on m’a emmenée… moi, Françoise Berrichon… avec le guet… on m’emmène en prison…

La pauvre vieille se mit à sangloter, et Jean-Marie se jeta à son cou :

— Pardon ! pardon ! ma bonne maman, s’écria-t-il en sanglotant, lui aussi. Tout ça, c’est ma faute à moi ; c’est ma maudite langue, et puis toutes ces bavardes de la rue qui veulent toujours tout savoir ce qui ne les regarde pas…

— Voyons, explique-toi, dit le lieutenant de police, devinant qu’il y avait là-dessous quelque enfantillage, pas de quoi fouetter un chat.

Berrichon reprit confiance, mais il n’en garda pas moins son air piteux. Il n’était pas encore bien sûr de s’en tirer sans qu’il dût lui en cuire. Il se mit donc à raconter son histoire tout au long, en commençant à parler de Lagardère et d’Aurore.

— Bon, je connais tout cela, passons dit M. de Machault.

Jean-Marie en vint alors à son projet de mystifier les commères, narra le conciliabule chez la beurrière, les révélations forgées de toutes pièces, tout de suite clabaudées et avgmentées par les bavardes.

— Si j’avais su, conclut-il, que ça se passerait comme ça, et puis que maman Françoise aurait tant de peine à cause de moi, oh ! non… pour sûr que j’aurais rien dit et que je les aurais laissées croire ce qu’elles auraient voulu…

— Mauvais garnement ! murmura la bonne femme en lui lançant une bourrade dans le dos. Si au moins ça le guérissait de toujours jaser…

— Oh ! je recommencerai plus, va, je te promets, et aussi à monsieur…

— Il n’est pas méchant, allez ! murmura Françoise.

— Je le vois bien, dit M. de Machault, dont les traits s’étaient détendus et qui s’était allongé dans son fauteuil.

Le lieutenant de police avait fait place à l’homme et l’homme riait très fort en dedans de lui-même, en attendant de le faire sans compromettre sa dignité.

Toute une rue mystifiée par ce grand dadais, à la face benoîte, c’était là une bonne aventure à conter au Régent, lequel s’en divertirait sans doute, lui que rien ne pouvait amuser. Quant au sergent, qui avait vu la foule ameu-