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LA GRANGE-BATELIÈRE

— C’est elle qui faisait la cuisine de l’enchanteur à bosse, glissa quelqu’un à l’oreille du sergent.

Celui-ci était perplexe. Le gamin et la vieille n’avaient rien de bien méchant pour justifier la colère de tous et il voyait la foule si excitée qu’il craignait une bagarre où peut-être il ne serait pas assez fort pour protéger les accusés, d’autant plus que sa tête se brouillait à entendre tout ce qu’on lui criait aux oreilles.

Interroger Françoise au milieu de cette meute n’était pas très pratique. Sa sagesse de raisonnement lui conseillait de la mettre d’abord en sûreté. Le seul moyen pour cela était de l’emmener, ce qui donnerait satisfaction à ces énergumènes, et ce fut le parti qu’il prit.

Il plaça donc deux hommes de chaque côté de la porte et fit encadrer par les autres Jean-Marie et sa grand’mère.

Allons chez le lieutenant de police, dit-il, et quant à vous autres, je vous défends de nous suivre.

C’était un ordre bien cruel. Nos bonnes langues ne l’entendaient pas ainsi et se mirent à pousser des clameurs furieuses.

— À mort, à la place de Grève, les assassins ; qu’on les brûle, les sorciers !

— Préparez vos mousquets, intima le sergent à ses hommes.

Cette menace produisit son effet accoutumé. Les cris cessèrent. Sur l’ordre de rentrer chez eux immédiatement, sous peine d’une grêle de balles, les plus turbulents vidèrent la place et le cortège se mit en marche.

Maman Françoise y comprenait moins que rien et ce fut en vain qu’elle essaya de protester. On lui enjoignit de se taire, si elle ne voulait pas aggraver son cas.

Jean-Marie, lui, ne comprenait que trop bien et il avait grande envie de pleurer. Son imagination, qui l’avait si bien servie la veille, lui montrait maintenant la silhouette de la Bastille, le fond d’un cachot tout noir, avec une botte de paille humide et une cruche d’eau croupie.

S’il ne se fût agi que de lui, il n’eût pas désespéré de se tirer d’affaire, mais c’était maman Françoise qui se lamentait maintenant et appelait tous les saints du paradis à son aide.

Pendant ce temps, dans la boutique de la beurrière, la Guichard pérorait.

— P’tête bien que vous en avez trop dit, opina la Moyneret prise d’un scrupule. Le petiot n’en avait point jasé si long.

— J’ai dit ce que vous m’avez rapporté toutes, répondit la mégère vexée.

— Nous ?… Quelle menterie !… Vous avez la langue un peu trop longue, vous savez, mame Guichard.

— Viens donc me la couper, toi pour voir…

— Pour sûr qu’on te la coupera, gloussa la Balahault, les bras croisés, dans une attitude de défi.

— Quoi qu’elle se mêle, d’abord, appuya la Morin. C’était à nous que le mignon avait parlé, c’était à nous à renseigner le guet si nous avions voulu.

— Et pourquoi qu’elle a mis le guet là dedans ?… clama à son tour la Bertrand.

— Vous êtes toutes de la bande, riposta la mégère avec mépris. Fallait que le guet vous emmène avec…

— Répète voir ? fit la beurrière.

— Oui, vous êtes des damnées !… Et c’est toi qui lui vendais son beurre, au bossu…