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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Cette perspective n’était pas pour déplaire au tendre Normand. Il regarda Cidalise, il regarda les autres, toutes encore un peu pâles après le danger qu’elles avaient couru, et… Passepoil oublia la Paillarde, le rendez-vous promis. Il eût, en ce moment, oublié le reste du monde.

À son avis, les jupes de soie étaient de beaucoup préférables aux cottes de futaine, sans compter le plaisir de chasser, pour une fois, sur les terres réservées d’habitude aux vrais gentilhommes.

Ce fut donc sans la moindre résistance qu’il se laissa pousser dans le carrosse où Cidalise l’accueillit les bras ouverts.

Cocardasse, de son côté, prit place dans le second et ne put réprimer un éclat de rire en songeant que l’Opéra, ce soir-là, malgré l’opinion de Charverny, n’était pas fermé pour tout le monde.

L’histoire dit bien qu’on arriva sans nouvel encombre à Paris, mais tous les mémoires de l’époque — Cocardasse et Passepoil n’ayant pas eu le temps d’écrire les leurs — sont muets sur la façon dont se termina cette partie de plaisir. Il est toutefois à présumer que ces demoiselles de l’Opéra surent récompenser largement nos deux prévôts de ce qu’ils avaient fait pour elles.

D’ailleurs, on n’entendit jamais ceux-ci s’en plaindre.


IV

UNE BONNE HISTOIRE


Il nous faut revenir à deux anciennes connaissances : à Françoise Berrichon, qui s’est quelque peu morfondue à ses casseroles pendant que Lagardère recherchait sa fiancée en Espagne, et à son petit fils Jean-Marie.

On a vu jadis celui-ci simplet, un peu trop bavard et se laissant assez facilement tirer les vers du nez par les commères de la rue du Chantre, tout en gardant la prétention de se moquer d’elles.

Mais on sait le peu de temps qu’il faut pour faire d’un grand dadais de quatorze ou quinze ans un gamin de Paris malin, effronté et goguenard. Il lui suffit d’avoir un peu de loisirs, le pavé de la ville pour champ d’expériences et quelques bonnes connaissances aux carrefours.

C’est ainsi que, sans avoir gagné beaucoup en taille, Jean-Marie Berrichon avait gagné énormément en malice, et cela depuis le moment où il n’avait plus rien eu à faire à la rue du Chantre après le départ de maître Louis et de sa pupille.

Sa grand’mère lui avait bien parlé de lui faire apprendre un métier ; mais celui qu’il préférait était de ne rien faire et, pour tout apprentissage, il se bornait à aller voir manœuvrer les gardes-françaises.

Au moment où nous le retrouvons, il avait déjà quelques exploits à son actif, même il n’eût pas fait bon aller demander de ses nouvelles rue du Chantre.

Qu’on en juge.