Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
COCARDASSE ET PASSEPOIL

traitant qui eût de beaucoup préféré rester à la Bastille. Chaverny venait d’envoyer La Vallade rejoindre ses ancêtres.

Tous les roués de Gonzague étaient couchés entre les tombes.

Cocardasse les compta du doigt et dit :

— Six… Le compte y est !

— Ah ! gronda le comte, lui seul manque… Faites silence et laissez-le venir.

Sur son ordre, Passepoil se porta en arrière pour arrêter les porteurs de torches. Pendant ce temps, penché sur le corps de Mme Liébault, Henri posait la main sur son corsage taché de sang, à la place où devait battre son cœur.

— Elle vit ! murmura-t-il en se redressant.

En avant, la nuit était opaque ; Lagardère attendit quelques minutes, s’avança de dix pas et prêta l’oreille… Quelqu’un marchait tout près, il l’eût juré. Dans le profond silence il pouvait compter les pas de celui qui s’avançait vers lui d’une marche tâtonnante.

Gonzague, n’entendant plus rien, s’était inquiété. Pourquoi ses roués ne l’avaient-ils pas rejoint ?

Les minutes lui paraissant longues comme des siècles, il quitta sa place, fit quelques pas avec précaution.

— Peyrolles ! — demanda-t-il à voix basse — est-ce fini ?

Nul ne lui répondit.

— Ces pleutres se seraient-ils esquivés sans m’attendre ? pensa-t-il.

Il étouffa un cri de stupeur, presque d’effroi. Il venait de buter sur un corps et, en cherchant à s’en éloigner, ses pieds s’étaient enchevêtrés sous les membres inertes d’autres corps.

Il se pencha pour mieux voir et un blasphème s’étouffa dans sa gorge.

Autour de lui il y avait un monceau de cadavres et ces cadavres étaient ceux de ses fidèles.

Tous étaient là, tous ! depuis Peyrolles, son âme damnée, jusque l’inoffensif Oriol, en passant par Montaubert, Taranne, le baron de Batz et les autres.

Tous ceux qui, en fuyant à sa suite sur la route d’Espagne avaient pu échapper naguère à leur sort en ce cimetière maudit, n’y étaient revenus que pour y trouver la mort au lieu et place du recommencement de la vie de plaisir qu’il s’était fait fort de leur faire prendre.

Il n’était resté là qu’une seconde, mais cette seconde avait suffi pour changer du tout au tout sa situation.

Lorsqu’il releva la tête, la lumière avait fait place à l’obscurité. Il était entouré de gardes et de porteurs de torches, entre lesquels se voyaient ceux qui venaient d’assister au mariage, et, au premier rang, Philippe d’Orléans sur l’épaule duquel s’appuyait le roi de France.

Mais ce qui porta l’exaspération de Gonzague à son paroxysme, ce fut d’apercevoir devant lui Lagardère, l’épée à la main.

Traîtreusement il se fendit sur lui, et l’épée de Lagardère, qui était l’épée du roi de France, un bijou d’enfant, fut brisée comme verre !

Mais Lagardère, de sa main libre, avait eu le temps de saisir l’arme de son déloyal adversaire et de la lui arracher.

— Ah ! comte !… fit le roi.

— Sire, répondit Lagardère, par deux fois déjà, dans les fossés de Caylus et ici même, cet homme a pu échapper à ma vengeance parce que je n’avais