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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

Ce fut alors qu’à leur tour, les prévôts crièrent ensemble :

— À nous !… à nous !…

Ils n’avaient pas le droit de tuer Gonzague sans qu’Henri fût là et ils savaient bien qu’il allait venir. En attendant, il leur était bien permis d’éclaircir les rangs des sous-ordres.

Ramassés en boule, la garde bien assurée dans la main, ils se ruèrent à l’assaut du mur vivant.

Les épées se choquèrent dans la nuit. Des étincelles jaillirent des lames et des yeux. L’obscurité était si épaisse que les adversaires se trouvaient parfois corps à corps et n’osaient frapper par crainte de toucher un ami.

Seul de tous, ne pouvant se taire, Cocardasse indiquait sa présence en lançant de vibrants jurons.

En élève respectueux, de temps à autre, Jean-Marie Berrichon essayait bien aussi de faire chorus, mais à la sourdine, car il préférait frapper et se taire comme Passepoil, son autre maître.

À cinquante pas plus loin, Philippe de Mantoue, accoudé à une balustrade de fer forgé, écoutait le bruit de la lutte et demeurait immobile. Aux voix, il s’était bien rendu compte que Lagardère n’était pas encore là, et il désirait se conserver pour cet unique adversaire.

La nécropole s’emplissait de bruit. De tous côtés on voyait courir des torches ; elles approchaient. Soudain les prévôts ressentirent une commotion. Un ouragan venait de tomber près d’eux.

— À la rescousse, mon péquiou ! hurla le Gascon enthousiasmé.

— J’y suis ! répondit Lagardère dont la voix avait des sonorités de métal.

Et il ajouta en tombant en garde :

— Nevers, voici ton vengeur.

Chaverny accourait. La mêlée devint terrible. Ceux qui les avaient suivis avec des torches étaient encore loin derrière.

Philippe de Mantoue dégaina, mais il resta en place. D’après les ordres donnés, ses roués devaient se rabattre sur lui, amener le comte peu à peu jusqu’à portée de son épée. Lui s’était réservé de surgir au dernier moment pour donner le coup fatal, par devant ou par derrière.

À l’endroit pourtant où avait lieu le combat, des hommes tombaient. Taranne avait été le premier ; bientôt de Batz s’abattit sur la face, les bras en croix, en lançant un « sacrament ! » d’agonie.

Oriol défendait sa peau, et pour la première fois de sa vie peut-être, il était brave ; la bravoure du désespoir, engendrée par la peur !

À la lueur d’une torche qui s’avançait, il vit devant sa poitrine la pointe de Berrichon et la menace lui parut si proche que, pour ne pas mourir encore, il trouva le moyen de le tuer. Le pauvre Jean-Marie oscilla sur lui-même et s’abattit, la gorge traversée de part en part par la lame naguère vierge de l’adorateur de la Nivelle.

Françoise Berrichon avait bien souvent répété à son petit-fils que le métier de prévôt est un mauvais métier… On n’évite pas son sort.

Les flambeaux étaient encore trop loin, mais les assaillants commençaient à se voir en formes indécises.

Montaubert croula en râlant et Peyrolles agonisant s’effondra en travers, avec un bruit d’os qui se choquent.

Passepoil avait vu tomber Berrichon ; il le vengea en clouant au sol l’ex--