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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

Dans sa logique de Normand, matois et rusé, l’absence de Gonzague ou de quelqu’un des siens ne lui disait rien de bon.

Aussi, par un pressentiment, qui puisait sa source dans sa défiance, s’attendait-il à ne pas voir le mariage s’achever sans un événement imprévu.

La précipitation mise par Mélanie, à gagner la porte principale, ne lui échappa pas plus que l’inquiétude peinte sur son visage.

Ce devait être là le prélude de faits très graves.

Il le conjectura.

Pourtant la pensée ne lui vint pas un seul instant qu’elle pouvait trahir Lagardère pour aller prévenir Gonzague et, suivant une notion plus exacte des choses, il fut persuadé qu’on venait de lui tendre un piège dans lequel elle allait tomber.

La petite porte s’étant ouverte devant lui, il dit à Laho de rester là et de veiller, lui recommandant de venir les chercher au plus vite s’il apercevait quelque chose d’anormal.

Puis il entraîna Cocardasse et Berrichon au dehors.

— Vite ! vite ! s’écria-t-il, suivons Mme Liébault.

La porte, par laquelle ils étaient sortis, s’ouvrant du côté opposé à celui vers lequel s’était dirigée la jeune femme, ils savaient ne pas devoir la trouver là.

Mais, comme ils n’avaient pas de temps à perdre, ils se précipitèrent tête baissée, de façon à contourner l’église, en passant devant le porche par où elle était sortie.

Sa Majesté arrivait en haut des marches avec le duc d’Orléans.

Tous deux s’arrêtèrent, en voyant courir ces trois hommes lancés à toute vitesse.

— Chasse-t-on de nuit ? demanda le roi dont l’humeur était charmante.

— Je ne sais, Sire, répondit le prince le front plissé… Il me semble avoir reconnu l’un au moins des deux maîtres d’armes dévoués à Lagardère.

La foule des grands seigneurs et des dames évacuait lentement la nef.

Le comte et Chaverny se tenaient debout auprès de leurs femmes, attendant le moment propice pour leur donner le bras et les conduire à leurs carrosses, dès que Louis XV lui-même serait remonté dans le sien.

Un rayon de joie, une noble expression de fierté illuminaient la belle tête de Lagardère.

Enfin Mlle de Nevers lui appartenait ; sa mère la lui avait donnée et le ciel venait de consacrer cette union depuis si longtemps attendue.

C’était le couronnement de son rêve, le fruit de ses peines à présent oubliées, le but accompli de sa vie.

Et cependant une sombre pensée traversa son esprit.

Philippe de Mantoue l’avait mis au défi d’unir sa destinée à celle de la fille de Nevers.

L’union était consommée, à la face de tous, Gonzague excepté, car Gonzague n’avait pas osé venir.

Un sourire de mépris plissa les lèvres du comte.

Il toucha l’épaule d’Aurore qui se leva, rayonnante, belle comme la plus belle des vierges, en sa longue robe blanche.

Elle prit le bras de son mari et, suivis de Chaverny et de Flor, ils descendirent à leur tour la nef jusqu’au portail.