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COCARDASSE ET PASSEPOIL

À la droite des fiancés, devant le banc d’œuvre dissimulé pour la circonstance et sous un dais de velours blanc fleurdelisé, un trône était dressé à l’intention de Louis XV, au pied du trône de Dieu. Avant d’y prendre place, le roi adressa un sourire au groupe formé par Lagardère et les siens.

Les prêtres entonnèrent les hymnes sacrées, égrenèrent dans la fumée de l’encens les psaumes d’allégresse ; l’assistance se courba devant l’ostensoir d’or élevé au-dessus du tabernacle et, sur un signe de Louis XV, un diacre vint prendre son épée, une lame mince et souple dont la garde était enrichie de diamants, puis l’ayant sortie de son fourreau, il alla, après l’avoir baisée, la déposer sur l’autel.

Le curé de Saint-Magloire qui officiait, vieillard à tête blanche, éleva deux doigts de sa main droite vers le ciel, bénit l’épée nue. Puis la saisissant de la main gauche, il enfila sur la lame les quatre anneaux de Lagardère, d’Aurore, de Chaverny et de Flor, et sa bénédiction descendit de nouveau, unissant dans une même prière ce qui était la force et la loyauté de la toute-puissance avec ce qui était la toute-puissance de l’amour loyal et fort.

Puis, descendant les degrés de l’autel, le prêtre apporta les anneaux sur un plateau d’or. Le comte de Lagardère en mit un au doigt d’Aurore, Chaverny, un autre au doigt de doña Cruz et ce fut Philippe d’Orléans qui présenta les deux autres à la veuve de Nevers pour qu’elle les mît elle-même aux mains loyales qui vaillamment avaient soutenu sa cause.

Ce n’étaient pas là cérémonies habituelles, mais Louis XV, qui se connaissait en rites, autorisait tout à cette heure. Le cardinal Fleury lui avait dit assez souvent : « Ce que Votre Majesté veut, Dieu le veut », pour qu’il n’en usât pas en cette circonstance.

On vit chose plus extraordinaire encore, quand le Régent amena le comte de Lagardère devant le prie-Dieu du roi et que celui-ci, reprenant sa propre épée des mains de l’officiant, la ceignit au flanc d’Henri, tandis que Philippe d’Orléans échangeait de même avec celle de Chaverny.

Aucun des assistants, même les maréchaux illustres, blanchis sous le harnais de guerre, dont les victoires avaient mis des lauriers au front de la France, n’eussent osé rêver tel honneur pour eux-mêmes.

Les têtes blanches, élevées aux suprêmes honneurs par le Roi-Soleil, ne l’avaient jamais vu glorifier un sujet de la sorte. Et pourtant nul ne songea que Louis XV outrepassait ses droits et les limites de la faveur ; nul ne se crut rabaissé lui-même et conscient d’avoir mérité mieux ou même autant : Lagardère était Lagardère : il n’avait pas eu de devanciers, personne sans doute ne l’égalerait à l’avenir ; ce que faisait Louis XV était bien fait !…

Un seul était confus de tant d’honneurs : c’était le comte lui-même…

Qu’avait-il donc fait pour mériter ainsi l’affection de son roi, l’estime de tous ?… S’il s’était institué le protecteur d’une enfant menacée, le défenseur d’une veuve éplorée, n’y trouvait-il pas aujourd’hui l’ultime récompense ?… S’il avait démasqué, pourchassé le crime, n’était-ce pas œuvre de justice et devoir d’honnête homme ?

Ce qu’il jugeait si simple pour lui était jugé sublime par les autres. S’il eût voulu s’en rendre compte, il lui eût suffi d’échanger un regard avec Mme et Mlle de Nevers. Celles-là ne trouvaient pas la récompense exagérée. À juste titre elles en étaient fières, non éblouies.

Il était une autre femme dont le visage rayonnait et qui s’abîmait dans