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COCARDASSE ET PASSEPOIL

leillait du reflet de celui de Mathurine, enfin retrouvée et placée en face de lui. Le cadet de Noailles avait pris autant de précaution pour mettre en voiture Françoise Berrichon et Madeleine Giraud, que si ces deux respectables dames eussent été duchesses de vingt-six quartiers.

— Té ! ma caillou ! disait le Gascon à son ami, Mlle Aurore elle a sa mère, mais le pétiou, eh donc ! nous sommes sa seule famille ?

Le cortège s’ébranla au claquement du fouet des postillons galonnés d’or et franchit à grand bruit la porte massive auprès de laquelle, courbé en deux, saluait le Suisse, seul gardien laissé à l’hôtel. Tout d’abord quelques curieux se prirent à suivre les carrosses, sans savoir où ils allaient les mener, et par simple désœuvrement. Puis le nom de Lagardère ayant été prononcé, chaque rue fournit un nouveau contingent à la suite des piétons, et ce fut un torrent humain qui se précipita vers Saint-Magloire.

Si les ivrognes ont un dieu, au dire du proverbe, les bavardes ne peuvent manquer d’en avoir un qui leur enseigne par avance le lieu où elles devront se rendre pour caqueter.

Immanquablement, nous eussions pu reconnaître, au plus épais de la foule, nos commères de la rue du Chantre ; elles clamaient toutes à la fois et se trouvaient avoir prédit le brillant avenir du mystérieux maître Louis. Comme autrefois elles étaient venues là pour le voir mener au supplice et le charger de tous les crimes, elles s’y trouvaient maintenant dans l’intention de chanter ses louanges et célébrer son élèvement. L’opinion publique a de ces revirements soudains : celles qui eussent assisté avec le plus grand plaisir à une exécution, jouaient des coudes pour être des premières à contempler le triomphe.

Béant, inondé de lumière projetée sur le visage de milliers de curieux, le porche de la petite église Saint-Magloire resplendissait et tout au fond scintillait l’autel drapé de blanc, ceint de tout le clergé revêtu des plus riches ornements.

À l’extérieur de la nef, une haie de gardes-françaises jetait l’éclat de ses uniformes ; les piques et les crosses sonnaient sur le sol ; les carrosses s’arrêtèrent à la porte.

Comme Henri de Lagardère, donnant le bras à Mme de Nevers, gravissait lentement les marches, la sensation de deux lèvres se posant sur sa main lui fit baisser les yeux. Sur le dernier degré était un pauvre vieux mendiant dont le regard fixé sur lui semblait resplendir d’une orgueilleuse admiration.

— Madame, vous permettez ? fit Henri en s’arrêtant.

Et s’adressant au vieil indigent, il demanda :

— Qui es-tu ?

— Moi, je vous ai bien reconnu, capitaine de Lagardère, chantonna la voix plaintive du pauvre. Je suis Carrigue.

— Toi, Carrigue ? Ah ! mon pauvre ami ! Viens demain matin à l’hôtel, je te reprends avec moi. En attendant, sois heureux ce soir puisque je le suis moi-même.

Il lui tendit sa bourse ; l’ancien chevau-léger la repoussa :

— Non, dit-il, votre main seulement, mon capitaine et prenez garde à vous ce soir.

— Madame, dit Lagardère, en reprenant sa marche, cet homme malheu-