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COCARDASSE ET PASSEPOIL

blement un supplice au-dessus des forces humaines. Ce soir, peut-être, pour y mettre un terme, viendra-t-il me braver, même devant le roi… Si le sang de Philippe de Mantoue venait à éclabousser votre robe de noce, craindriez-vous que ce soit un présage funeste ?

Mme  de Nevers releva fièrement la tête :

— S’il en est ainsi, dit-elle, j’irais dès demain suspendre ma robe blanche en ex-voto à l’église Saint-Magloire et je m’écrierais : Dieu soit loué !… justice est faite.

— N’exposez pas votre vie ce soir, conseilla Mme  de Nevers. Cependant, si l’assassin osait vous attaquer, tuez-le, dût la robe blanche d’Aurore être toute rouge du sang de ce monstre, dussiez-vous le jeter expirant sur le tombeau de sa victime.

Quelques instants après, dans le grand salon de l’hôtel, un vaste cercle était formé autour de la princesse et, solennelle, bien qu’un sourire égayât son visage, elle faisait part à tous les assistants du double mariage dont la célébration devait avoir lieu le soir même.

Cette précipitation extraordinaire de la part de nos amoureux eût pu sembler surprenant à ceux qui connaissaient leur longue attente, si Mme  de Nevers ne l’eût expliquée en le mettant sur le compte du bon plaisir du roi.

C’était la meilleure des raisons à invoquer et tous s’inclinèrent convaincus.

La douce Mélanie Liébault fut la première à quitter sa place pour aller embrasser Aurore et la féliciter. Elle comprenait bien, elle, la bourgeoise aimante, toute la somme de tendresse que méritait l’héroïque Lagardère.

Puis ce fut le tour de Jacinta.

Enfin, toutes portes ouvertes, les serviteurs dévoués entrèrent, Madeleine Giraud, Antoine Laho et aussi la vieille Françoise dont le petit fils exultait, persuadé qu’il était pour beaucoup, avec l’aide de Pétronille, dans la réalisation de cet heureux événement. Pauvre Jean-Marie !

La joie de Cocardasse tenait du délire.

— Oimé ! ma caillou !… disait-il à son fidèle Normand. N’avais-je pas dit que nous serions de noce ? Ah ! caramba ! bagasse ! et capédédiou ! faudra boire, mon bon !

— Pour cette fois, Cocardasse, je ne chercherai pas à t’en empêcher, car en Bretagne, m’a-t-on dit, le bonheur des époux est sensiblement diminué s’il ne se trouve, à leur noce, au moins un invité « chaud de boire ».

— Ah ! couquinasse, le beau pays… Pour que notre péquit il soit heureux, peccaïré ! Cocardasse junior il se sent capable de se griser comme un lansquenet !

La gaîté de frère Passepoil se teintait d’un peu de mélancolie. C’était certes très bien que ce fût le tour de Lagardère et celui de Chaverny… il y applaudissait de tout cœur… Mais quand donc viendrait le sien ?… L’inflammable prévôt songeait à la plantureuse Mathurine avec laquelle il lui serait très doux d’aller à Saint-Magloire, dût le roi de France ne pas y être.

Sur l’ordre de la duchesse, l’antique demeure des Lorraine-Nevers changea d’aspect. Les vantaux, depuis si longtemps fermés, s’ouvrirent au grand large et quelque chose du rayonnement intérieur se répandit sur sa façade, animant les vieux murs.

En effet, à bien examiner les maisons, on reconnaît que chacune a son langage propre, reflète en quelque sorte le caractère de ses habitants. Où était