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« Je ne sais pourquoi je pleure aujourd’hui ? écrivait la douce enfant. Henri était près de moi tout à l’heure, il y sera dans un instant ; puis-je exiger davantage ? N’est-ce pas trop de bonheur de le voir tous les jours, de me sentir bercée par sa tendresse ? Il court des dangers et ne m’en parle jamais, c’est vrai ; mais il m’a si bien habituée à le croire invulnérable que c’est folie de trembler.

« Eh bien ! j’en arrive à me dire : C’est un héros, et les héros ne meurent pas ! j’en arrive à reconnaître l’enfantillage d’un tel raisonnement et j’ai peur !

« Certes, j’ai eu de cruels moments de désespérance ; j’ai douté de Dieu, du ciel, de tout… excepté de lui !… Ma confiance est si grande que je ne songe plus à demander quand s’accomplira notre union, puisque je le vois, que je l’entends, que je puis l’aimer et le bénir à chaque seconde de ma vie.

« C’est pourquoi je n’ai pas raison de pleurer, sinon de joie… À de certains moments même j’en suis inondée ; il me semble qu’un grand bonheur plane au-dessus de ma tête, de la sienne, qu’enfin nous allons être heureux, non pas dans un avenir éloigné, mais bientôt, mais… »

C’est sur ce mot que la main d’Aurore s’était arrêtée, comme suspendue entre la réalité présente et le rêve entrevu…

D’un regard rapide, le comte avait parcouru ces quelques lignes sans quitter sa position ; de sa main droite, il prit la petite main blanche qui tenait la plume suspendue au-dessus du papier et la guidant dans une pression douce mais irrésistible il lui fit compléter la phrase de cette façon :

« … Ce soir peut-être… Oui ! ce soir, mon ami et moi serons irrévocablement unis devant Dieu et devant les hommes !… »

Un cri de joie monta du cœur d’Aurore et la pauvre enfant, chancelant sous le poids d’un incommensurable bonheur, tomba dans les bras de son fiancé.

— Est-ce vrai… Henri ? est-ce bien vrai ?… balbutia-t-elle éperdue d’amour et de reconnaissance, dis, ne me trompes-tu pas, n’est-ce point une illusion, un mirage ?

— Chère enfant, fit-il, c’est vrai, je te le jure !…

— Oh !…répète-le… dis-le moi encore, dis-le moi toujours !… Ce soir ?… Est-ce possible ?… Songes-tu que ce soir c’est dans quelques heures…

— C’est possible quand le roi le veut !… À six heures, nous serons côte à côte au pied de l’autel Saint-Magloire et, près de nous, Aurore, nous aurons l’insigne honneur de voir Sa Majesté Louis XV.

— À six heures ! répéta-t-elle n’ayant retenue que ce membre de phrase. À six heures !… je ne puis douter de ta parole, Henri, car tu es la vérité même. Mais c’est bien extraordinaire, avoue-le ? Il me semble être le jouet d’un rêve.

— Le rêve est pour moi seulement, murmura le comte comme se parlant à lui-même. Par ta naissance, par ton rang, ma chère Aurore, tu avais le droit de tout espérer, de te permettre tous les espoirs… En était-il de même du Bossu de l’hôtel de Gonzague, pouvait-il croire qu’un jour il posséderait ton cœur ?…

— Mon cœur tout entier !

— Je le sais, enfant ! Pour te remercier, une vie entière de dévouement sera-t-elle suffisante ?… Monseigneur le Régent m’a fait comte, moi, le gentil-