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Un à un les roués se glissèrent dans le cul-de-sac et s’introduisirent dans l’enceinte du cimetière, par derrière l’abside ; ils se cachèrent entre les mausolées au centre des massifs de cyprès et dans les recoins les plus sombres. Peyrolles avait fermé la marche.

Gonzague sortit peu après, ferma la porte à double tour et glissa la clef dans sa poche.

Puis il se dirigea vers l’un des mendiants, un jeune homme contrefaisant le boiteux et dont le visage patibulaire indiquait assez qu’il serait bon à toutes les besognes.

Leur entretien dura près d’un quart d’heure, et quand il fut terminé, le prince mit quelque chose dans la main du guenilleux : c’était le dernier louis d’or de Philippe de Mantoue et maintenant le pauvre diable était plus riche que le prince.

Il lui remit aussi les deux billets préparés par lui et, le mendiant s’étant faufilé dans l’église même, on entendit les pas d’une compagnie de gardes-françaises venant prendre le service d’ordre.

Gonzague s’enfonça dans les ténèbres, à travers le cimetière, et alla se poster auprès du tombeau de Philippe de Nevers, sa victime.


VI

DÉPART POUR LES NOCES


En quittant le Régent le matin même aux Tuileries, Lagardère et Chaverny étaient rentrés en toute hâte à l’hôtel de Nevers.

Les deux amis n’avaient pas échangé une seule parole, tant ce qu’ils eussent pu dire eût été incapable d’exprimer leur bonheur commun.

En vain Aurore avait cherché à se faire à cette vie tourmentée. Ce n’était plus la petite jeune fille de la maison de la rue du Chantre, à laquelle maître Louis ne confiait rien de ses travaux et de ses peines. Maintenant, elle savait, hélas ! quelle était la lutte entreprise par son fiancé, elle connaissait ses redoutables ennemis, les savait acharnés, persévérants, haineux, capables de tous les crimes, aussi éprouvait-elle une véritable angoisse à chaque nouvelle sortie de Lagardère.

Dans la solitude de la chambre où elle se confinait, une seule consolation lui restait : ses tourterelles, dont dame Françoise avait pris soin, alors que prisonnière de Gonzague, elle pleurait à Peña-del-Cid.

Elle s’approcha de la cage où roucoulaient ces gentils oiseaux et se prit à leur chanter d’une voix mouillée par la tristesse :

I

GentilDans sa robe sombre,
GentilS’avance la nuit ;
GentilFaisant place à l’ombre,