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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

divines et les lois monarchiques, agréablement commentées, aboutissaient à prouver que Dieu avait depuis longtemps prévu et ordonné qu’en ce jour même, 22 février 1723, un enfant encore bon à fouetter la veille, tiendrait en ses faibles mains le sort de vingt-cinq millions de créatures raisonnables.

Sa Grandeur n’en trouvait pas moins cela très logique et tout le monde avec elle. Elle profita donc des bonnes dispositions de l’assistance pour couvrir, au nom du roi, S. A. le Régent de toutes sortes de louanges pour la façon dont il avait gouverné l’État pendant une période de sept années.

M. d’Armenonville prit la suite et renchérit encore, au point d’en arriver à prouver que les finances étaient des plus florissantes ; l’Église au surplus se portait bien et tous les cousins et petits-cousins placés sur les trônes voisins ne songeaient pas à partir en guerre contre la France.

À vrai dire, il oublia, tout comme M. le chancelier de s’appesantir sur les légèretés du Régent, et s’il parla de ses relations, ce fut seulement de celles qu’il avait su nouer avec les cours étrangères. Il glissa rapidement sur la banqueroute de l’honorable M. Law, ex-contrôleur général ; ne parla en rien des dettes de Philippe d’Orléans, dont les finances, au rebours de celles de l’État, étaient des moins prospères, et, ne pensant pas un mot de ce qu’il disait, il n’en conclut pas moins que tout était pour le mieux dans la plus belle France du monde.

Dire que le roi s’amusait de toutes ces histoires serait peut-être exagéré. Il aurait préféré de beaucoup celle du Masque de fer et davantage encore celle de Lagardère ; aussi bien souvent M. d’Armenonville, se tournant vers lui, le trouva-t-il inattentif.

Quelques jours avant, il avait éprouvé orgueil et joie de devenir le maître. Aujourd’hui, malgré les moelleux coussins sur lesquels il était assis, il commençait à trouver aux cérémonies royales en général, et aux lits de justice en particulier, une vague analogie avec les pénitences infligées aux écoliers.

Néanmoins il se tenait très dignement sur son trône, ne prêtant qu’une oreille distraite à tous ces beaux discours et songeant surtout au mariage de Lagardère.

Il se demandait quelle formule il lui faudrait employer pour y convier tous les vieux barbons emmitouflés de fourrures et d’hermine qui avaient hâte sans doute de regagner leur logis et le coin du feu où chauffer leurs membres rhumatisants et goutteux.

Certainement, beaucoup de ces illustres débris devaient fort mal s’accommoder des courants d’air de l’église Saint-Magloire et, bien que tous portassent l’épée, à les voir si renfrognés, le malin petit roi constatait par avance, qu’en cas de lutte, bien peu seraient à même de la sortir du fourreau.

Ces réflexions étaient plutôt d’un enfant que d’un souverain, car à Louis XV il suffisait d’ordonner.

Il se consolait néanmoins à compter toutes les jeunes têtes qui prendraient aussitôt feu et flamme et le suivraient avec entrain, en laissant les podagres derrière.

Ainsi, grâce au remarquable discours de M. d’Armenonville dont il ne voulut pas entendre un traître mot, mais qui lui permit de s’isoler et de penser à ses propres affaires, le roi ne s’aperçut pas trop de la longueur du temps.

Il était bien près de cinq heures et c’était le moment des présentations.