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COCARDASSE ET PASSEPOIL

compte, messieurs mes amis, et si l’envie me prend de liquider ce soir, j’aimerais assez vous voir prêts à payer.

Sous ces paroles insolentes et railleuses, les roués s’inclinèrent. Ils le connaissaient, le compte de Gonzague, et leur épée seule, mise à son service pour toutes les besognes, était capable de le solder.

— Nous n’avons jamais marchandé, murmura Nocé, et notre marché vaut aujourd’hui comme hier… Bon pour les pages de Chaverny et de Navailles…

— Elles sont en suspens, répliqua vertement Gonzague, nous les solderons comme les autres…

— Et nous avons signé les nôtres, répartit Nocé. Si Votre Altesse a besoin d’une signature nouvelle…

— Pourquoi faire ? railla Gonzague. Où seriez-vous demain, mes gentilshommes, si je vous disais à l’instant : « Votre compte est clos, mon registre est fermé, je n’ai plus besoin de vos services ?… » La potence vous guette, Oriol a déjà tâté de la Bastille et je suis seul à pouvoir vous en sauver, reconstituer votre fortune et la mienne… Il faut y songer à l’instant même.

— Quand vous voudrez, monseigneur, répliqua Montaubert.

Les roués étaient matés de nouveau, car leur maître avait dit vrai : ils n’étaient rien sans lui que des victimes désignées à la vindicte de la justice. Philippe de Mantoue eût peut-être été beaucoup moins sans leur nombre, mais ce n’était pas à lui à le dire.

Il promena sur eux tous un regard circulaire et reprit :

— L’heure du repos bien gagné est proche… Pas de faiblesses si vous voulez vivre et jouir de la victoire… Allez aiguiser vos épées et descendez dans le cimetière au premier son des cloches… Ne vous inquiétez pas si tout d’abord je ne suis pas avec vous, car moi aussi, je vous dis comme Lagardère : « J’y serai ! »

Jadis, on n’avait guère sommeil, les soirs de soupers à la Folie-Gonzague. Cette nuit-là on n’y pensa pas davantage à dormir et l’on y réglait encore de graves détails quand l’aube parut, éclairant des visages blêmes. Cette fois au moins les plaisirs de l’orgie n’y étaient pour rien.

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Ce matin-là, au petit lever de son Altesse Royale, maître le Bréhant se montrait inflexible et n’admettait personne. Bien des nez de courtisans s’allongèrent en vain devant la porte fermée : Lagardère et Chaverny seuls étaient attendus sans témoins.

Il était bien rare de voir ainsi déserte la ruelle de Philippe d’Orléans, la seule qui eût résisté aux scrupules de Mme  de Maintenon. Jusqu’au commencement de ce xviiie siècle, toutes les grandes dames, les princes et même les hommes de lettres recevaient chaque matin dans leur alcôve parfois jusqu’à cinquante personnes apportant les nouvelles de la ville et de la province, les caquetages, les bons mots et les médisances. Les poètes y lisaient leurs vers, les amoureux y soupiraient, on y comptait les rides de celle qui recevait et nombre de réputations y étaient mises en miettes.

Mme  de Sévigné disait en parlant du père Maimbourg : « Il sent l’auteur qui a ramassé le délicat des mauvaises ruelles. »

Mme  de Rambouillet, — elle avait sans doute quelque défaut à cacher, — avait été la première à trouver peu séantes ces réunions dans l’alcôve d’une femme. La pruderie de Mme  de Maintenon leur donna le coup de grâce.