Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
LE SERMENT DE LAGARDÈRE

le résultat était nul et il ne fallait rien moins que son immense orgueil pour le pousser à vouloir atteindre son but, malgré tout et quand même.

Il fut sur le point de se repentir d’avoir assigné Lagardère à deux jours, car Lagardère y serait comme il l’avait dit et lui, Gonzague, n’aurait pas le temps de préparer sa fuite, ni les moyens de l’assurer d’une façon certaine.

Pendant un instant, il ne fit pas bon autour de lui, quand il fut de retour à son ancienne maison de débauche, devenue son repaire ; son factotum n’osait même pas lui adresser la parole. Mais pouvait-il s’avouer vaincu, quand le jour qui allait se lever serait celui de la lutte suprême, quand beaucoup de ceux qui l’entouraient, peut-être tous, peut-être lui-même, n’étaient pas sûrs d’en voir la fin ?

Soudain il se redressa, plus insolent que jamais, bravant les hommes, la destinée, le ciel.

— À quoi bon regarder le passé ? dit-il avec colère. Voyons un peu du côté de l’avenir ; nous avons tout juste le temps d’y songer. Aujourd’hui même, messieurs, Lagardère doit se marier… Il est une heure du matin et la journée sera longue…

Les roués l’entouraient et l’écoutaient sans prononcer un mot : à la gravité du ton, ils devinaient l’importance de ce qui allait être dit.

— Le Régent sera de la noce, le roi aussi peut-être. D’ici nous entendrons les hymnes d’allégresse ; nous verrons la jeune fiancée monter les marches de l’église, suivie de celle de Chaverny ; nous verrons la princesse ma femme, car elle est ma femme, quoi qu’elle fasse, au bras de Lagardère, mon plus mortel ennemi… et nous ne verrons rien autre chose, messieurs ; nous ne sommes pas invités à la noce et ce qui se passera au pied de l’autel n’est pas fait pour nous… Si nous voulions y pénétrer, sans doute y aurait-il des gardes assez peu respectueux de nos personnes pour nous en empêcher, comme à l’hôtel de Gonzague…

Il se tut un instant, dardant son regard sur ses anciens gentilshommes dont il avait fait des esclaves.

— Ne pas nous avoir invités à cette fête, reprit-il avec sarcasme, est une impardonnable négligence dont M. de Lagardère, ce galant homme, serait le premier vexé… Nous irons quand même…

— Et les gardes ? interrogea Montaubert.

— Oui, fit le baron, les cartes ? Tiaple !

— Ces braves gens n’arriveront qu’après nous… Les fourrés sont faits pour se cacher derrière, demandez à Peyrolles !… Cela n’implique pas pour vous l’obligation d’avoir peur… Vous serez là, messieurs, dissimulés dans les taillis, à l’abri des tombes et attendant le comte… Soyez sans crainte, il viendra. Quand ?… À quelle heure ?… Je n’en sais rien au juste… Sans doute ce soir et il fera nuit au sortir de l’église… Avez-vous compris, mes gentilshommes ?

Leur silence répondit pour eux ; depuis trop longtemps, ils savaient ce qu’était une expédition nocturne avec Gonzague et l’importance capitale de celle-ci ne leur échappait pas.

— Vous faites la moue, messieurs, reprit le prince. C’est tant pis pour vous !… J’ai un registre, je vous l’ai dit déjà, dont la première page est pour moi, les autres pour vous ; chacun a la sienne… En tête est inscrit ce que je vous ai donné ; au-dessous ce que j’ai reçu de vous… Nous sommes loin de