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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Certes, Philippe de Mantoue pouvait être victorieux et tuer Lagardère ; il avait raison de vouloir emporter avec lui, en pays étranger, le plus possible des richesses amassées. Par contre aussi, il pouvait être vaincu, et avec un tel adversaire, c’était plutôt à craindre.

À craindre, non… car Gonzague mort, lui, Peyrolles, saurait bien s’emparer de ces trésors qu’on ne songerait pas tout de suite à mettre en sûreté, et s’enfuir au loin pour en jouir.

Dans la conversation qu’ils avaient eue ensemble à ce sujet, il avait laissé parler son maître, notant seulement dans sa cervelle toutes les indiscrétions utiles à son propre plan. Et quand celui-ci lui avait demandé son avis sur cette tentative, il s’était empressé de l’approuver, en se promettant bien de l’empêcher d’aboutir.

L’heure avait été choisie : le soir même, un peu après minuit ; et quand Philippe de Mantoue, sûr des dispositions prises, se félicitait déjà d’un succès incontestable, son âme damnée se mettait en travers et comptait pour lui l’or à venir.

Il lui suffit d’écrire une lettre destinée à l’officier chargé de la surveillance de l’hôtel de Gonzague, et, sous un prétexte facile à trouver, il sortit avec de Batz et se dirigea vers la rue Quincampoix.

À vingt pas de la sentinelle, il fit embusquer le baron au coin d’une rue et continua de s’avancer seul. Puis arrivé à hauteur du soldat, il laissa tomber la lettre de sa poche comme par mégarde et continua sa route pour venir, par un détour, rejoindre de Batz.

Il avait eu cependant le temps de constater que le factionnaire, après s’être baissé pour ramasser le papier, le tournait dans tous les sens et le portait enfin à son chef.

Le tour était joué.

Or, la lettre portait qu’à minuit, un groupe d’hommes devait tenter de pénétrer dans l’hôtel pour enlever les choses précieuses et vider l’argent des coffres. Aussi, moins d’une heure après, la garde était-elle doublée, et des soldats étaient-ils campés dans les cours et jusque dans les appartements.

Selon le programme adopté, à la faveur de la nuit, Philippe de Mantoue se glissa, suivi de ses roués, aux abords de la somptueuse demeure où jadis il régnait en maître et qui lui était maintenant fermée, sans doute pour toujours. Quand il vit ce déploiement de forces lui barrant le passage et rendant toute tentative inutile et dangereuse, il étouffa avec peine une exclamation de rage et se mordit les lèvres jusqu’au sang.

Peyrolles sembla être plus surpris et plus peiné que son maître de ce contretemps fâcheux, ceci à la surface, car en son for intérieur, il éprouvait une jouissance diabolique d’avoir su protéger contre toute mainmise ces richesses accumulées.

L’édifice élevé par Gonzague se désagrégeait donc et croulait pierre à pierre. Pour voler la fortune de Nevers, pour aboutir à perdre la sienne, il avait débuté par l’assassinat ; il avait eu recours au rapt, au mensonge ; il avait usé de toutes les infamies, consommé toutes les lâchetés ; foulant aux pieds les lois sacrées de l’amitié, il s’était fait un ennemi du Régent de France ; il avait torturé des femmes, plus de cinquante hommes s’étaient entre-tués pour lui et des centaines d’innocentes victimes avaient péri de son fait dans la plus épouvantable catastrophe. Sa vie n’était qu’un tissu de crimes dont