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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

Prenant le gros traitant par le bras, il l’entraîna tout uniment à sa remorque, en commandant :

— Bas dant te tisgours, et marche troid…

Le gros Oriol suivit, non sans faire d’amères réflexions : ce n’était vraiment pas la peine d’être sorti le matin de la Bastille, où l’on n’avait tout au moins pas de coups d’épée à craindre, pour redevenir le prisonnier de Gonzague.

Ceci se passait deux heures après l’incident qui avait eu lieu au cimetière Saint-Magloire : on voit que Peyrolles, aussitôt le danger passé, avait vite fait de reprendre ses esprits et de redevenir lui-même, c’est-à-dire fourbe et méchant.

Peut-être apprendra-t-on avec intérêt d’où il venait à cette heure en compagnie de l’Allemand, dont il n’avait jamais fait son favori et qu’il avait choisi sans doute en raison de sa force, peut-être aussi à cause de la lourdeur de son esprit.

Le factotum ne livrait rien au hasard et s’était très certainement adjoint le Teuton, comme on prend une bête de somme pour un gros travail.

Lorsqu’il avait dû fuir en Espagne, après les révélations faites par Lagardère en plein tribunal de famille et après le double rapt opéré au cimetière Saint-Magloire, Gonzague avait emporté sur lui une somme considérable ; mais tout a une fin, l’or avait fondu à alimenter les roués et à soudoyer des bandits.

Maintenant, il était à court et si, comme il l’espérait bien, il n’était pas tué le lendemain dans le dernier duel qu’il devait avoir avec Lagardère, il lui faudrait gagner en toute hâte la frontière et quitter la France pour toujours. Or, il entendait bien ne pas s’en aller les mains vides et risquer, par défaut d’argent, de compromettre sa fuite.

Pour avoir de nouvelles ressources, il ne s’agissait pas pour lui d’emprunter. Il savait où trouver des richesses qui lui avaient appartenu, qui, à son estime, lui appartenaient encore ; mais la difficulté était de les aller chercher.

En effet dès le soir même où il était parti, emmenant Aurore, la princesse s’était retirée à l’hôtel de Nevers et, par ordre du Régent, la Maison d’Or de la rue Quincampoix avait été mise sous séquestre.

Depuis lors elle était constamment gardée par des sentinelles dont la mission était d’empêcher tout le monde d’en approcher. Tous ceux qui s’y étaient ruinés lui montraient le poing en passant.

Gonzague, moins que tout autre, avait chance de pouvoir y pénétrer, d’en enlever ce dont il avait besoin. Il en sentait pourtant la nécessité si impérieuse que, le matin même, il avait élaboré avec Peyrolles le plan audacieux de déjouer la surveillance des gardes et d’aller se ravitailler dans son propre hôtel.

Car, si jadis il distribuait à ses roués des actions peu coûteuses, il avait su tenir pour lui-même de l’or en réserve dans ses coffres. Il pensait être seul à avoir le secret de cette réserve, mais Peyrolles le savait aussi, et il eût été moins difficile de passer sur le ventre des gardes que d’enlever une double couronne sans que Peyrolles en fût instruit.

Car, si l’intendant de Gonzague reconnaissait en celui-ci un maître incontesté sous la volonté duquel il pliait sans jamais se plaindre, il avait un autre maître plus puissant, plus exigeant, plus tyrannique, devant lequel il se courbait tout bas : c’était l’or !