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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

— Qu’est-ce que cela ?… dit-il d’une voix sourde.

Le marquis leva les yeux et pâlit.

Navailles et tous les autres suivirent leurs regards.

La colère empourpra leurs visages.

Dans les interstices, ménagés à la visière du casque, un poignard était fiché et la lame traversait un fragment de papier sur lequel une main infâme avait tracé des mots !…

Insultes au mort, sans doute !… Insultes à la veuve, a la fille, à tous ceux à qui était chère la mémoire de Philippe de Nevers !…

Et le ciel n’avait pas croulé. Dieu n’avait pas foudroyé sur place le misérable dont la main scélérate était venue là planter ce poignard et violer la sainteté des tombes.

Un cri de rage allait s’échapper des lèvres de tous ceux qui avaient vu.

Henri, d’un geste, leur ordonna de se taire. Il ne voulait pas que l’épouse abîmée dans sa douleur, que la fille pieuse, connussent la profanation dont leur cœur saignerait et, d’un mouvement rapide, par-dessus leurs têtes, il enleva en même temps l’arme et le papier.

C’était une sorte de défi.

Las de la longueur de la lutte, et voulant en finir, Gonzague lui donnait rendez-vous pour le lendemain même au cimetière Saint-Magloire.

Le comte allait froisser et lacérer ce papier quand, tout à coup, il releva fièrement le front et sembla prendre le ciel à témoin qu’il acceptait le défi.

Chaverny le vit se faire une incision au bras, avec la lame du poignard de Gonzague, et écrire, au-dessous des menaces de celui-ci, deux mots avec son sang : « J’y serai ! »

Puis il planta le tout dans le tronc d’un arbre voisin.


IV

VEILLÉE D’ARMES ET MATIN DE FÊTE


Ce jour-là même, et suivant la liste qui lui avait été remise par le duc d’Orléans, Louis XV avait envoyé, au gouverneur de la Bastille, l’ordre d’élargir un certain nombre de prisonniers dont les fautes étaient légères.

Soit par distraction du prince, soit égard au peu de valeur et à la nullité d’Oriol, celui-ci avait été compris au nombre des libérés.

Quand il fut hors de la redoutable forteresse, où il avait pensé devoir terminer ses jours, l’ex-traitant céda à un mouvement de joie délirante. Après les ténèbres de son cachot, il était heureux de revoir le soleil, les bourgeois paisibles vaquant à leurs occupations et tout le brouhaha de la grande ville.

Puis, ce sentiment fit place à un autre, tout voisin de l’orgueil.

Depuis que le duc de Richelieu avait été enfermé à la Bastille, il était presque de bon ton, pour la jeune noblesse tapageuse, d’y aller passer quelques semaines et, en bon gentilhomme qu’il se croyait, Oriol se faisait une