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COCARDASSE ET PASSEPOIL


II

LA BAGUE NOIRE


De coutume, les femmes n’allaient pas trop au café ou au cabaret, sauf les grandes dames accompagnées par quelques seigneurs, qui s’y rendaient par curiosité, et les courtisanes.

Mais tant que durait la foire de Saint-Germain, on ne se faisait aucun scrupule de fréquenter ceux qui se trouvaient dans son enceinte ou aux environs. C’était même devenu, non seulement une question de mode, mais une sorte d’obligation. Il était de bon ton de s’y donner rendez-vous et la licence qui y régnait permettait toutes les entrevues entre amoureux de même classe ou de classes différentes.

La plus authentique duchesse, qui ne se fût jamais commise ailleurs avec ses inférieures, ne trouvait point mauvais de s’asseoir auprès d’une lingère, voire de la prier très humblement de se déranger pour gagner sa place.

La Révolution n’inventa rien en inscrivant au fronton de ses édifices les trois mots sur lesquels tout devait se baser : Liberté, Égalité, Fraternité. Ils étaient déjà de règle à la Foire Saint-Germain et quelques-uns seulement y contrevenaient, comme on y contrevient d’ailleurs de nos jours.

Cette fusion des classes autour des loges des marchands et surtout dans les cafés et théâtres, ne laissait pas souvent que de donner lieu à d’amusantes surprises. Il arriva plusieurs fois qu’une marquise et une soubrette vinrent s’asseoir l’une auprès de l’autre, chacune attendant quelqu’un : la soubrette le marquis et la marquise le galant de la soubrette. On laisse à penser le désarroi quand les deux hommes arrivaient.

Journellement, c’était un mari surpris par sa femme en conversation clandestine, ou la femme par son mari. Si l’un ou l’autre faisait du bruit, la chronique scandaleuse le répétait à tous les échos et le monde s’en égayait. Les mœurs de l’époque permettaient heureusement aux intéressés de fermer les yeux : en de telles occasions, n’est-ce pas souvent le plus sage !

On ne s’étonnait donc pas de la qualité de ceux ou de celles qui venaient au café ni de ce qu’ils voulaient y faire. En général — et ceci concerne la noblesse — comme on se connaissait et se surveillait entre soi, il s’y passait peut-être moins de choses répréhensibles qu’ailleurs, où l’on prenait le soin de se cacher. Il en sera de tout temps ainsi : celles qui vont tous les soirs au bal et s’y montrent, au vu et su de tous, endiablées, infatiguables, même passionnées, sont beaucoup moins coupables que celles qui, une fois seulement la semaine, se glissent pendant une heure dans quelque mystérieux entresol.

La limpidité de l’eau courante sera toujours moins suspecte que celle de l’eau tranquille.

La petite baronne de Longpré était une assidue de la foire. Quelquefois elle s’y faisait accompagner, en tout bien tout honneur, de quelque cavalier