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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

Seulement, ni l’un ni l’autre ne portaient pourpoints de soie, ni jabots de dentelle. Ils étaient toujours déguisés en marchands d’Amsterdam, de telle façon que celui qui était le plus jeune paraissait de beaucoup le plus vieux, et vice versa.

Bien malin eût été celui qui les eût reconnus tous deux sous cet accoutrement, qui pourtant excitait bien des curiosités. Les deux hommes ne laissaient pas que de coudoyer sans cesse des gens connus, et ceux-ci ne se faisaient point faute de les dévisager. Ils n’en prenaient pas le moindre souci, s’en allant côte à côte à travers les rues où grouillait la foule, et s’arrêtant de-ci, de-là aux loges qui les attiraient.

Ils semblaient tout émerveillés de ce qu’ils voyaient, jouant parfaitement leur rôle d’étrangers qu’intéresse un spectacle nouveau et, comme ils paraissaient avoir la bourse facile et bien garnie, c’était, parmi les marchands, à qui pourrait les accaparer.

Ils firent quelques acquisitions dont ils chargèrent les bras de leur valet, et après avoir renvoyé celui-ci, continuèrent à se promener en simples flâneurs.

Philippe de Mantoue semblait nerveux. À un moment il glissa à l’oreille de son compagnon :

— Personne encore !

— Si… là — bas, sur ces tréteaux, Nocé et La Vallade.

— Oui, ceux-là, nous savions qu’ils y seraient… mais les autres ?…

— Patience, monseigneur, nous les trouverons avant peu.

Entraînés par le flot des oisifs, ils s’approchèrent des bateleurs, autour desquels un grand cercle était déjà formé. Nocé avalait une épée et se faisait fort de guérir tous les maux de dents par un secret à lui dont le prix modique était de deux sols.

L’entourage n’avait pas confiance et Nocé n’en était point fâché. Il eût été fort en peine de prouver ses talents autrement que par des cabrioles et des éclats de voix, et la recette lui importait peu.

La Vallade, muni d’un gong, faisait le plus de bruit possible et ne s’arrêtait de temps en temps que pour montrer, du bout de sa baguette, de fantastiques personnages barbouillés sur une vaste toile tendue derrière son dos.

Il y avait de tout dans cette peinture expressive : des archers et des requins ; des femmes à demi nues prêtes à être dévorées par des bêtes de l’apocalypse ; Diogène dans son tonneau se faisant arracher une molaire par Alexandre, et quantité d’autres facéties de ce genre dont la bizarrerie même amusait le grand et le petit public.

Nocé s’arrêta tout à coup au beau milieu d’une tirade. Il venait d’apercevoir Gonzague et Peyrolles et s’empressa parmi vingt grimaces, de leur faire un signe d’intelligence.

Le prince pensant qu’il devait avoir une communication à lui faire, poussa son factotum vers l’estrade et force fut à celui-ci d’en escalader les degrés.

Le prétendu opérateur n’était pas fâché de profiter de l’occasion. Il força l’intendant à prendre place sur un siège et, lui ouvrant la bouche en le prenant sans façon par le menton et par le nez, il commença l’examen de sa mâchoire à l’aide d’une petite clef en acier dont il frappait chaque dent.

— Maladroit ! cria soudain M. de Peyrolles, en crachant la moitié d’une de ses fausses dents que l’opérateur inexpérimenté venait de briser.

Puis comprimant sa colère, il ajouta à mi-voix :