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LA GRANGE-BATELIÈRE

laborieusement échafaudé péchait par la base et ils n’avaient aucun autre prétexte à invoquer.

— Parlez franchement, fit le marquis en remarquant leur trouble qu’il interpréta à sa façon ; vous avez quelqu’un à surveiller.

Ce fut pour Cocardasse un trait de lumière. Il fut si content de saisir cette perche tendue qu’il n’hésita pas une seconde à mentir :

— Pécaïre !… s’écria-t-il, c’est affaire à M. de Chaverny de deviner ce qu’on ne lui dit pas… Eh ! cornebiou ! c’est bien cela !… Nous avons rencontré hier deux têtes qui ne nous reviennent pas et nous serions bien aises de savoir à quoi elles s’occupent le soir.

— Cela me suffit, allez ; mais pas de bataille, ni d’esclandre, et venez me dire demain ce que vous aurez vu.

Exactement à la même minute, dans un cabaret de la rue Guisarde, quatre hommes de notre connaissance se préoccupaient fort de Cocardasse et de Passepoil.

Il y avait là Gauthier Gendry, l’ex sergent aux gardes, Raphaël Pinto, Yves de Jugan, les jeunes coqs, fils des prévôts tués par Lagardère, et enfin la Baleine, l’homme monstrueux.

— Le vrai moyen quand on veut pénétrer quelque part, disait le premier c’est d’assommer d’abord les chiens de garde. Ces deux-ci disparus, on aura plus facilement raison des autres.

— Mais gare à leurs morsures, répliqua la Baleine. Les molosses ont les crocs solides.

— Le principal sera fait par nous, dit Yves de Jugan, très fier de se montrer à la hauteur de sa tâche et de prouver que s’il n’avait pas les années, il avait du moins l’audace.

— On vous les amènera sans défiance jusqu’à l’égout, reprit à son tour Raphaël Pinto, et l’un des deux au moins sera ivre.

— Quand Cocardasse se bat, il retrouve sa raison, opina la Baleine toujours prudent.

— Si vous ne suffisez pas à les jeter dans l’égout, vivants ou morts, répondirent les jeunes gens, nous vous y aiderons.

— Tudieu, mes mignons, dit Gendry, on fera de vous quelque chose. Dès que vous quitterez l’auberge, nous vous suivrons d’abord à vingt pas ; quand il le faudra, nous serons sur vos talons. Un rire macabre secoua le grand corps de la Baleine :

— Deux coups d’épée dans le dos, dit-il, et… flic… flac !… Cocardasse boira son dernier coup.

Les bandits se concertèrent encore un instant et se séparèrent, par groupes de deux, pour regagner la Grange-Batelière. Ils étaient d’autant plus certains du succès qu’en cas de besoin ils pourraient appeler quelques malandrins à la rescousse.

Ils comptaient sans le hasard, cet arbitre des choses.

L’homme propose et Dieu dispose, dit le proverbe. Souvent Dieu est remplacé par la femme.

Gauthier Gendry avait fort bien proposé d’ôter la vie aux prévôts ; ce furent les actrices et les danseuses de l’Opéra qui en disposèrent.

Ainsi va le monde.

On s’étonnera peut-être que celles-ci se fussent rencontrées avec ceux-là,