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LA PEUR DES BOSSES


XII

PAGES NOUVELLES DES MÉMOIRES D’AURORE


Chez la marquise de Saint-Aignan, Mlle  de Nevers avait plusieurs fois rencontré une jeune femme vive, alerte, et au surplus assez jolie, qui s’était prise pour elle d’une belle amitié.

La petite baronne Liane de Longpré passait, aux yeux de certains, pour être veuve et les mêmes personnes étaient d’avis que son veuvage ne lui pesait guère.

Mutine, coquette, les lèvres en arc, le nez au vent, la rose de la jeunesse aux joues et haute à peine comme une botte de mousquetaire, on eût dit un de ces fragiles bibelots de Saxe que le moindre choc émiette. Ce qui n’empêchait pas ce léger paquet de chair tendre, blonde, diaphane, de n’être qu’un paquet de nerfs ; cette tête de linotte d’avoir des volontés et des caprices comme une vraie femme d’autant plus dangereuse qu’on ne la prenait pas au sérieux.

En cela, on avait tort, car ce que voulait la baronne, elle le voulait bien et, quoique paraissant virer comme une girouette à tous les vents, elle en arrivait à faire tourner tous ceux qu’elle voulait, et comme elle voulait, du bout de son petit doigt.

La Révolution faucha pas mal de ces petites têtes qui riaient encore une fois qu’elles étaient décollées et dont le plus grand tort avait été de naître charmantes, spirituelles et fines. En les coupant, on crut abattre l’orgueil. Les Immortels principes ont eu ce principal défaut d’enlever à quelques-uns leur laideur morale pour en inoculer le virus à un plus grand nombre. À l’heure actuelle l’orgueil niche dans d’autres têtes et rien n’est changé, ce qui ne veut pas dire qu’il faille recommencer la Révolution.

La baronne de Longpré s’était mariée à seize ans, ou pour mieux dire on l’avait mariée. Comme elle paraissait incapable de toute réflexion en vue d’un événement aussi grave, on y avait pourvu. M. de Ravolles, son très honorable père, dont l’escarcelle était beaucoup moins bien fournie que l’arbre généalogique, lui avait dit par un beau soir :

— Perle !… je ne puis te donner un prince pour époux. Rien ne s’oppose toutefois à ce que tu sois la femme d’un cadet de Guyenne, aussi pauvre que moi. Il s’agit de M. de Longpré.

— M. de Longpré peut aller se faire lanlaire, avait répondu la gente personne. Ce n’est pas un cadet que je veux, c’est un prince.

— D’accord, toute belle, mais que dirais-tu des deux ?

Le bijou s’était mis à réfléchir, chose qu’on croyait au-dessus de ses forces, et fort heureusement il lui était venu en mémoire que sa tante s’était « bigamée » de la sorte, sans crime, puisqu’elle n’avait convolé avec le second tenant, qu’après le décès du premier :