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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Mais je ne puis rien te dire, sinon que je me sens beaucoup d’espoir et que je voudrais te voir de même.

— Hélas !… soupira Aurore, moi aussi j’essaie quelquefois d’espérer ; à quoi bon ?… Chaque jour ramène la même peine, la même incertitude, et cette incertitude me brise… Où est-il ?… Que fait-il ?… Pourquoi ne revient-il pas ?

— Il va venir…

— Qui te l’a dit ? s’écria Mlle de Nevers en se dressant sur son lit. Flor !… je te le répète, tu sais quelque chose…

— Et moi je te répète que je ne puis rien te dire… Espère, espère et prie, je suis sûre que Dieu t’exaucera…

— J’ai usé mes genoux sur des dalles de la chapelle… À quoi cela a-t-il servi ?

— À hâter l’heure !… Prie encore aujourd’hui : peut-être demain sera-t-il le jour heureux ; prie demain pour le jour qui suivra et ne perds pas courage… Moi j’ai foi dans un événement prochain…

— Tu as sans doute fait un rêve ? demanda Aurore. Quelquefois tes songes se font réalisés et je sais que tu as toute croyance en eux… Flor, ma chérie, qu’as-tu donc rêvé cette nuit ?

Doña Cruz saisit cette occasion de donner plus de poids à ses assertions sans manquer à la promesse qu’elle s’était faite. Jusque-là elle n’avait pas menti en affirmant à son amie qu’elle ne pouvait rien lui dire. En mettant la question sur le compte d’un rêve, il lui serait possible d’aller plus loin, de mieux communiquer sa conviction.

— Eh bien ! c’est vrai ! avoua-t-elle sans rougir de son mensonge, j’ai rêvé. Des voix connues parvenaient jusqu’à mon oreille et parlaient d’Henri. Elles disaient qu’il était en chemin pour revenir, que peut-être il était là, pas bien loin, et qu’un léger obstacle l’empêchait d’arriver plus vite.

Aurore, les mains jointes, écoutait avec attention. Une prière montait de son cœur pour que cette fiction fût une réalité et que son amie, la jugeant suffisamment préparée à la joie, en vînt à lui dire :

« Non, ma chérie, ce n’est point un rêve ; si j’ai tant tardé à te le dire, c’est pour t’éviter une émotion trop vive… il va venir, il est là ! »

Mais Flor ne prononça point ces paroles qu’elle attendait et la pauvre enfant baissa la tête, tandis qu’une larme humectait sa paupière.

— Et quelles étaient ces voix ? demanda-t-elle.

— Celles de ses prévôts, Cocardasse et Passepoil.

Aurore eut un geste de découragement.

— Ce n’est pas eux, murmura-t-elle, qui me le ramèneront. Quand tu les verras, dis-leur qu’ils ne s’absentent pas l’après-midi ; ils auront à nous conduire à l’hôtel de Saint-Aignan.

— Crois-moi, Aurore, laisse-les libres aujourd’hui, et demain, tant qu’ils le voudront, dussions-nous ne pas sortir. Si tu voyais Henri revenir avec eux, tu n’aurais pas à t’en repentir.

— Soit, répondit Mlle de Nevers, mais je n’en crois rien.

Doña Cruz la quitta, assurée qu’elle venait de faire un bon usage du secret qu’elle détenait depuis quelques heures.