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LA PEUR DES BOSSES

— Braves gens ! dit doña Cruz dès qu’elle eût regagné son lit, où elle se blottit toute frileuse.

— Ceux-là sont de vrais cœurs ! approuva Jacinta. Qu’allons-nous faire de leur secret ?

— Le garder… Il ne nous appartient pas et je n’ai pas besoin de te faire jurer le silence… Enfin, nous savons qu’Henri est revenu d’Espagne, qu’il poursuit, qu’il va peut-être achever son œuvre.

— Dieu veuille qu’il le puisse bientôt, pour Mlle  Aurore et pour vous !

— Ma pauvre Aurore !… Je vais donc pouvoir, plus forte moi-même, ranimer son courage, lui faire partager mon espoir dans la prochaine consécration de notre bonheur… Merci à toi, ma bonne Jacinta, de m’en avoir fourni le moyen.

— Hélas ! que ne puis-je vous le ramener ?

— Va… il reviendra bientôt, je le sens, j’en ai maintenant la conviction…

Cependant elle pencha sa belle tête brune et murmura avec tristesse :

— Il va encore avoir bien des dangers à courir, peut-être… Fasse le ciel qu’il en triomphe et qu’il n’échoue pas si près du port… J’espère, car je sais à présent qu’il n’est plus seul et que ses pires ennemis sont loin… Pourtant, il n’a pas tué Gonzague, sans quoi il serait revenu ici… Ma tête s’y perd, ma pauvre Jacinta !… Avant de te coucher, prie pour lui, pour Aurore, pour nous tous…

Avant de se retirer, la Basquaise lui posa encore une question :

— Ne direz-vous rien de ceci à M. de Chaverny ?

— À personne… C’est le secret d’Henri, nous ne pouvons en disposer en faveur de qui que ce soit… Adieu, Jacinta, embrasse-moi et va te reposer un peu.

Elle-même essaya vainement de se rendormir. Mille suppositions traversaient son cerveau, mille projets aussitôt détruits qu’ils étaient nés.

Elle en vint même à regretter ce qu’elle avait appris, tant il lui semblait qu’à elle, comme à Cocardasse, ce secret allait être lourd à porter.

Ce fut elle, au matin qui alla réveiller Mlle  de Nevers. Elle lui passa ses bras autour du cou, baisa ses cheveux blonds.

— Que veut dire ceci ? demanda Aurore avec surprise. Te voilà debout avec le soleil et tu n’as point coutume de venir m’embrasser si tôt.

C’était vrai. Flor ne s’apercevait pas de ce que sa joie avait de singulier, au contraire de ce qui se passait les autres matins, quand les jeunes filles, en s’embrassant avec tristesse, ne pouvaient s’empêcher de songer qu’un jour se levait encore où nulle joie ne leur serait apportés, où aucune nouvelle ne leur viendrait de l’absent sur qui reposait leur sort.

Et voilà qu’elle était gaie, enjouée. Toutes les sombres pensées qui s’étaient heurtées dans sa tête à la fin de la nuit s’étaient évanouies avec la lumière, avec le soleil. Elle débordait d’espérance, toute prête à la communiquer à son amie, ne comprenant même pas que celle-ci ne l’eût pas déjà devinée.

Cependant Mlle  de Nevers la regardait dans les yeux, où elle avait si bien l’habitude de lire.

— Flor, dit-elle tout à coup, tu me caches quelque chose et ta gaieté me dit que c’est quelque chose d’heureux. Parle, parle vite… Qu’as-tu appris ?

— Rien, ma pauvre mignonne… Je me suis levée ainsi, ce matin, plus joyeuse que de coutume… C’est peut-être un pressentiment, que veux-tu ?…