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LA PEUR DES BOSSES

ils devenu subitement fou. On s’écartait de lui avec terreur, d’autant plus que son épée nue, ses vêtements dégouttants d’eau, lui donnaient un aspect des moins rassurants.

Le Gascon était le seul à comprendre ce que cherchait son inséparable.

— Té ! ma caillou !… dit-il en se rappelant, tu ne trouveras pas ceux que tu cherches… Il doit y avoir beau temps qu’ils sont loin.

— Qu’entends-tu par là ? lui demanda Lagardère.

Les prévôts, l’un après l’autre, racontèrent ce que l’on avait vu, ce que chacun avait ressenti et pourquoi tous deux étaient retombés dans le fleuve au moment où ils étaient si prêts d’en sortir.

— C’est impossible, s’écria-t-on de toutes parts. Il n’y avait pas parmi nous de gens assez lâches pour agir de la sorte.

— Ver ! mes mignons !… c’est pourquoi il est probable qu’ils n’y sont plus.

— La meilleure preuve de ce que j’avance, la voilà, dit alors Passepoil en montrant ses mains couvertes d’ecchymoses bleuâtres.

— Oïmé !… je pourrais, moi aussi, vous montrer quelques bosses sur mon chef et je crois même que mon nez il a quelques avaries.

— Un si beau nez ! gouailla un gamin.

— Couquin de clampin ! quand tu en auras un pareil, ce sera la preuve qu’il sera passé beaucoup de vin dessous. Si je tenais les rocaillasses qui m’ont endommagé le mien, je leur mettrais les tripes au vent…

— Où sont-ils ?… Où sont-ils ?… qu’on les jette à l’eau !… hurla la foule.

Lagardère échangea un regard avec les prévôts et dit à voix basse :

— Les roués sont arrivés. Ils viennent de se démasquer.

— Cornebiou ! si ce sont eux, ils me paieront cher le bouillon que je viens d’avaler.

De tous côtés on les questionnait pour savoir qui avait fait le coup et nul doute que, si la foule eût trouvé les coupables, elle ne les eût écharpés sur-le-champ.

— Mais Nocé et La Vallade avaient gagné au large depuis longtemps, laissant à d’autres le soin de repêcher les cadavres des prévôts.

Ce n’est pourtant pas sur ceux-ci qu’ils se fussent acharnés s’ils eussent pu supposer que Lagardère était avec eux. Ils s’en étaient pris à ceux qu’ils avaient reconnus et croyaient avoir fait un coup qui leur vaudrait les félicitations de Peyrolles et quelque récompense de Gonzague.

Depuis une heure qu’ils étaient arrivés à Paris, ils avaient bien employé leur temps. Que serait-ce lorsque, dès le lendemain, la bande serait au complet ?


X

LE CAFÉ PROCOPE


De toute la bande, ou pour mieux dire des deux bandes de vulgaires bravi soudoyés par Gonzague, il ne restait que deux êtres vivants :

Raphaël Pinto, fils de la madone de Turin, et Gruel, dit la Baleine.