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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— As pas pur !… On les enverra rejoindre aussi ceux que nous venons de mettre par terre.

— J’ai une idée, proposa Passepoil. Si nous allions prévenir le lieutenant de police ?…

— Ton idée ne vaut rien, maître Amable, répliqua le comte. La prison ne nous délivrerait d’eux que pour un temps : on s’échappe de la Bastille. La seule prison dont on ne sort jamais, c’est le cercueil.

— Cornebiou ! Voilà qui est bien dit… Mais il va y avoir plus de dangers autour de Mlle Aurore… Comment ferons-nous pour l’en prévenir ?

— Chaverny la garde, cela suffit ; avec l’aide de Navailles et de Laho, je crois qu’il n’y a rien à craindre.

— Et nous, qu’aurons-nous à faire encore ?

— Bien d’autres choses. Parcourez sans cesse les rues et, chaque fois que vous rencontrerez un bossu, quel que soit le costume qu’il porte, suivez-le pour lui prêter assistance au premier signal. C’est un bossu qui a commencé à mener la danse, c’est un bossu qui la mènera jusqu’au bout… Pour tous, vous ne savez pas où est Lagardère ; mais je saurai me faire reconnaître de vous quand il en sera besoin et je vous ferai tenir tous les jours mes ordres…

— Eh ! donc murmura le Gascon, les contrefaits de la nature ils m’intéressent ! Et je n’aurai pas de peine à devenir l’ami de tous les bossus de Paris, sandiéoux !

— Sache seulement discerner les faux des vrais.

— Et si dans le tas, le Gonzague il venait à reconnaître le pupitre de la Maison-d’or, Ésope II, enfin ?

— Le jour où il en sera sûr, je cesserai d’avoir une bosse…

— Tâche que ce soit bientôt, mon péquiou, pour que Mlle de Nevers elle soit heureuse, et aussi Mlle Flor et M. le marquis et tes pauvres vieux prévôts.

— L’heure approche… Peut-être sera-ce dans huit jours, peut-être demain ?… Il est bien des parties qui se perdent sur un tapis vert ; Gonzague a voulu jouer la dernière sur un tapis que je vais lui faire d’une autre couleur…

Le comte avisa soudain la rapière que Cocardasse avait au côté et tout un monde de souvenirs repassa en lui. Il se revit à Pampelune, ciselant des gardes et forgeant des lames pour arriver à donner de quoi manger à la petite Aurore. Une poignante émotion l’envahit.

— Où as-tu trouvé cette épée ? demanda-t-il après un long silence.

À cette remarque, les joues du Gascon s’empourprèrent. Un instant il songea à forger une histoire pour ne pas perdre de son prestige auprès de Jean-Marie qui ne connaissait que très vaguement l’aventure de l’égout, mais pensant qu’il pouvait passer sous silence certains détails, il conta simplement comment il l’avait eue en détaillant ses mérites.

— Je la connais, dit Henri, elle a passé par mes mains. Si un autre que toi l’avait au flanc, je la lui prendrais.

— Capédédiou ! la voilà !… s’écria Cocardasse en la lui tendant sans regret. Elle est assez bien trempée pour traverser le corps du Gonzague.

— Non, mon ami, conserve-la précieusement et fais-en bon usage… Avant peu je te la réclamerai.

— Vivadiou !… elle sera tienne quand tu voudras, et d’ici ce temps elle n’aura pas chômé dans la main de Cocardasse.

Le comte reprit les rames pour se rapprocher de la rive.