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COCARDASSE ET PASSEPOIL

aider un peu… J’ai dit des bandits, j’ajoute qu’ils ont vendu leur épée ; et remarquez bien que je ne parle pas de leur conscience ; je ne crois pas qu’ils en aient une… Dans tous les cas, moi qui vous parie, je n’en donnerais pas un liard, ni même une action de M. Law… Devinez, messieurs, le temps passe, devinez…

Son rire s’égrena, retentissant et sinistre :

— Vous ne savez pas ?… Eh bien ! vous les reconnaîtrez tout à l’heure… car Dieu, dont on médit trop, soutient les justes causes et se servira des lames loyales pour arracher les masques des vendus… Ils périront tous… ici… sous vos yeux !

Un frisson courut partout, passa dans les moelles.

— Cette comédie va-t-elle durer longtemps ? s’écria Gendry, qui venait de ramasser l’épée d’Yves de Jugan et s’était placé aux côtés de Blancrochet.

— Laisse donc, conseilla celui-ci ; maître Cocardasse n’est pas fâché sans doute que ce singe ait eu l’idée de venir faire des grimaces sur son dos ; c’est autant de gagné sur le peu de temps qui lui reste à vivre.

Une pression de jambes avertit le Gascon de ne pas répondre. Le petit bonhomme s’en chargea pour lui :

— Eh ! eh !… ricana-t-il en s’adressant au bretteur, nous verrons lequel fera la plus triste figure… Ceux qui ont vendu leur épée ont de l’argent dans leurs poches, le prix d’une conscience qu’ils n’ont pas et qu’on leur a payée quand même… Pourquoi fais-tu déjà la grimace, l’ami ?… De toi ou de moi, qui donc est le singe, à cette heure ?

Les badauds commencèrent à se gausser :

— Ne riez pas, reprit l’étrange personnage, vous allez voir qu’il n’y a pas de quoi… L’argent que les bandits ont dans leurs poches ne leur servira pas… ils n’en auront jamais besoin, jamais !…

— Pourquoi ? demanda une voix…

— Pourquoi ?… Ne vous l’ai-je pas dit déjà ?… Parce que dans cinq minutes, dix au plus, dès que j’aurai fini de parler, il n’en restera pas un seul vivant…

— Assez ! cria Blancrochet…

— Qu’on en finisse ! hurla Gauthier Gendry, qu’un certain trouble commençait à envahir malgré lui.

Cent voix s’élevèrent dans la foule :

— Laissez-le parler ! laissez-le parler !… Dis ce que tu sais, petit homme.

Celui-ci, sardonique et très calme, ôtant le feutre empanaché de Cocardasse le tendit vers Blancrochet et les autres :

— Videz vos poches jusqu’au fond, vous autres ; l’argent qu’on vous a donné pour commettre des crimes sera distribué aux pauvres… Donnez tout, le nocher des enfers vous fera crédit… Allons, messieurs les spadassins, coupe-jarrets, assassins et vendus !… Faites l’aumône une fois en votre vie et hâtez-vous !… Non, vous ne voulez pas ?… Prenez garde !… On va trouer vos pourpoints à la place même où vous cachez votre or… et votre or coulera !… Avec lui, il coulera du sang, votre sang dont la dernière goutte rougira votre dernier écu…

Sa voix avait pris un timbre si étrange que l’assistance était profondément remuée, dans l’attente d’un événement grave qui allait se passer.

Blancrochet et Gendry se consultèrent du regard et, derrière eux, les six