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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Il y eut un long murmure parmi les spectateurs. Mais après tout, que leur importait de voir tomber quelques hommes de plus ? Le combat n’en serait que plus intéressant.

Des applaudissements saluèrent les nouveaux champions.


VIII

CELUI QU’ON N’ATTENDAIT PAS


— Un instant, un tout petit instant, messieurs, prononça d’une voix aigre et menue un bout d’homme tout ratatiné, presque en loques, qui s’avança au milieu du cercle.

Il ne payait pas de mine, affublé qu’il était d’un vieux costume de montagnard pyrénéen, rapiécé et troué en maints endroits. Par surcroît, ses espadrilles étaient souillées de crotte et de boue et, sur son dos voûté se balançait une besace qui paraissait contenir quelque chose de vivant, à en juger par les soubresauts de la toile.

Ce singulier personnage n’était pas précisément « bombé » selon la figure populaire, mais à coup sûr il était contrefait, mal bâti et propre à tout peut-être, excepté à provoquer l’admiration des femmes.

— Ote-toi de là, malingreux !… lui dit Blancrochet en essayant d’un coup d’épaule de le repousser vers l’endroit d’où il était sorti.

À coup sûr, chacun s’attendait si bien à voir le petit bonhomme choir sur ses talons au choc, que tous les spectateurs poussèrent une exclamation de surprise en constatant l’horrible grimace qui tordit la face du bandit dont la main se porta d’instinct à son épaule comme si elle eut été meurtrie par le heurt.

Par contre, l’étrange interrupteur du combat, bien campé sur ses courts jarrets, n’avait pas bougé d’une ligne. Un vrai roc !

Il laissa au bretteur le temps de reprendre son équilibre, puis ôtant son béret, il le salua de façon narquoise en déclinant tout haut :

— Mieux vaut être malingreux que trépassé, l’ami, et m’est avis que, malgré votre belle prestance, je vaudrai mieux que vous dans un instant… C’était là précisément le sujet dont je voulais vous entretenir.

— On a bien autre chose à faire, riposta le spadassin sur un ton furieux. Va-t’en, hibou de malheur !… si tu ne veux que je te passe ma rapière à travers le corps.

Le petit homme laissa fuser un éclat de rire moqueur.

Sans doute il n’admettait que la menace bien appuyée ; or comment eût-il pu redouter la nouvelle bravade de celui dont la première forfanterie avait eu un si négatif succès ?

Le fier-à-bras auquel obéissaient tous les estafiers qui fréquentaient le cabaret de Crèvepanse ne pouvait pas admettre qu’on plaisantât son auguste personne, et à plus forte raison quand c’était une pygmée qui en ten-