Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/133

Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
LA PEUR DES BOSSES

— Voilà pour les premiers frais. Ce soir, je vous ferai connaître ici le lieu où nous sommes logés. Ne perdez pas votre temps, chaque minute est précieuse.

Aux côtés de son maître, il regagna Paris. Dans les rues, la foule regardait ces deux personnages si étrangement et richement vêtus, qui passaient avec indifférence et s’arrêtaient à chaque pas comme s’ils eussent vu Paris pour la première fois.

Ils s’en allèrent quérir un logis dans la rue des Fossés-Saint-Germain, tout près du café Procope, où leur titre d’étrangers pouvait leur donner accès sans éveiller par trop l’attention. Là où se réunissaient gens de lettres et comédiens, enclins à se lier facilement, peu investigateurs par tempérament et tout disposés au contraire à bavarder beaucoup sans trop exiger de confidences en échange, ils savaient devoir être tenus au courant de toutes les nouvelles de la cour et de la ville.

Une maison discrète, qui avait pour enseigne À l’Écritoire et qui était habitée surtout par d’inoffensifs littérateurs, fut choisie de préférence par l’intendant. Nul n’eût songé certes à venir chercher là, dans les trois pièces dont ils prirent possession avec un seul valet, Philippe de Mantoue, prince de Gonzague, et son âme damnée, le sieur de Peyrolles.

Dès le soir même tous deux y étaient installés, attendant que vinssent les montreurs d’ours, les pèlerins et les bateleurs qu’on logerait dans des quartiers différents, où leur présence serait plus utile.

En résumé, le prince et son intendant allaient disposer de nouveau de leurs roués, au nombre de six ; Blancrochet et Daubri auraient également six hommes ; Gendry, la Baleine, Jugan et Pinto porteraient le total au chiffre respectable de vingt adversaires déterminés, sans scrupules, sans conscience, sans foi ni sans loi, auxquels Lagardère n’aurait à opposer que Chaverny, Navailles, les deux prévôts, Antoine Laho et le petit Berrichon.

Lui seul en valait vingt, c’est vrai ; mais il manquait à l’appel et c’était lui qui était l’âme et la tête. Il serait facile d’avoir raison des autres, homme par homme, sans en excepter Chaverny.

Comme si les choses eussent dû aller naturellement au gré des désirs de Gonzague, Cocardasse, Passepoil et Berrichon venaient dès le lendemain, nous le savons déjà, tendre eux-mêmes leurs gorges aux bourreaux.

Ils allaient trouver à la porte Montmartre, Gendry et les siens, qui n’auraient pas même la peine de les provoquer, puisque les prévôts les premiers leur chercheraient querelle.

Le plan de Blancrochet était de se tenir coi, de laisser les maîtres d’armes et leur jeune coq se mesurer avec leurs ennemis dans un duel régulier qui aurait des spectateurs impartiaux, ignorant les dessous de cette rencontre et disposés à prendre fait et cause pour ceux qui seraient en légitime défense.

Au cas où Gendry et sa bande auraient le dessous, Blancrochet entrerait en ligne avec Daubri et d’autres, jusqu’à ce que les prévôts mesurassent le sol.

Jean-Marie, qui s’en allait vers le rendez-vous, entre ses deux amis, était loin de se douter que, pour ses premières armes, l’affaire allait être si chaude qu’une jolie protestante convertie au catholicisme par le P. Cotton, Anne-Marguerite Petit, dame Dunoyer, mère de la Pimpette aimée par Voltaire,