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LA PEUR DES BOSSES

La police de M. de Machault ne se fût point risquée à entrer en lutte contre ces dix mille ferrailleurs, qui mettaient vingt fois par jour le fer à la main. Elle s’estimait déjà trop heureuse de ne pas être rossée plus souvent pour son compte et se contentait de souhaiter que tous ces coquins se décimassent eux-mêmes, à charge pour elle d’en ramasser chaque matin le plus possible sur le carreau.

Malheureusement, s’ils se battaient entre eux par distraction et par passe-temps, cet exercice n’était pas d’un rapport suffisant et ne mettait rien dans leurs poches. Pour y suppléer, ils ne se faisaient point faute de vendre leur épée au plus offrant et, moyennant récompense, d’assassiner n’importe qui. C’était dans ces cas-là que la police avait à intervenir : elle n’osait pas toujours le faire !…

Après la curée, les spadassins se gardaient bien de faire part à leurs pareils des besognes dont ils étaient chargés. Ils agissaient par petits groupes, dans l’unique but de ne pas morceler l’aubaine. C’est ainsi que nous avons vu Gauthier Gendry et ses trois acolytes travailler pour le compte de Gonzague sans juger à propos d’en informer qui que ce soit. Les grandes douleurs sont muettes, dit le proverbe : les grandes canailles le sont bien davantage.

Il n’y avait pas à nier que c’était tentant d’avoir à partager la récompense seulement entre quatre. Gendry se faisant la part du lion et prélevant encore une dîme, sinon sur celle de la Baleine, mais au moins sur ce qui échoirait aux débutants Yves de Jugan et Raphaël Pinto. C’était belle chose de sa part que de tels calculs, mais il n’en ressemblait pas moins à l’heure actuelle au bonhomme de M. de la Fontaine, qui s’était trop pressé de vendre la peau de l’ours.

Il ne pouvait se dissimuler qu’il était bien loin de compte : le coup avait été manqué au bal de Saint-Aignan ; Lagardère avait disparu comme par enchantement sans qu’on sût où il était passé ; Aurore était trop bien gardée pour qu’on pût même lui enlever un ruban de sa robe ; la Baleine s’était mis sur les bras un nouvel adversaire qui ne serait peut-être pas à négliger ; Cocardasse et Passepoil étaient sortis sains et saufs d’un guet-apens savamment combiné et où cent autres eussent laissé leur peau. Tel était le bilan.

Quand Gonzague et Peyrolles arrivèrent à Paris, leur premier soin fut de se mettre à la recherche des quatre bandits, qu’ils ne tardèrent pas à découvrir au cabaret de Crèvepanse.

— Où en sommes-nous ? leur demanda l’intendant en les abordant.

Gauthier, fort penaud, dut avouer que tout était à faire et qu’il ignorait même où était Lagardère.

Philippe de Mantoue entra dans une violente colère.

— À quoi donc avez-vous employé votre temps et l’argent qu’on vous a donné ? s’écria-t-il.

Gendry conta par le menu toutes ses tentatives infructueuses, amplifia encore les dangers courus par lui et les siens, fit ressortir son dévouement et la malchance qui l’avait poursuivi, le tout pour aboutir à la négation de tout résultat et au point particulier de l’absence du comte.

Cette disparition était bien pour préoccuper étrangement Gonzague. Il n’était pas admissible, en effet, que Lagardère les sachant hors d’Espagne et n’ayant plus rien à y faire, s’y fût attardé si longtemps au lieu de rejoindre sa fiancée.

— Qu’en penses-tu ? demanda-t-il à Peyrolles en baissant la voix.