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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Té… je me soucie de ton autorisation comme de la barbe de Charlemagne, mon mignon !… Cocardasse junior il entre où il lui plaît et ne doit de comptes qu’à lui-même…

— Cocardasse !… Eh ! pardieu oui, c’est lui, s’écria l’interlocuteur inattendu, qui cette fois se montra tout entier. Or, il n’était autre que Blancrochet, l’illustre Blancrochet, grand maître au cabaret de Crèvepanse de tous les bretteurs, spadassins et assassins dont la conscience était à la hauteur de la sienne. Derrière lui se dressait son lieutenant Daubri.

Les prévôts ne les connaissaient tous deux que pour en avoir ouï parler maintes fois en termes peu flatteurs. Aussi furent-ils assez surpris de voir Blancrochet s’avancer vers eux les mains tendues :

— Maître Cocardasse !… Maître Passepoil !… Soyez les bienvenus ici, mes camarades… Allez, qu’on nous serve à boire ; ces messieurs vont nous faire l’honneur de trinquer avec nous…

— Tiens, fit Berrichon en rengainant avec regret sa rapière, on entre donc, à présent ? Caboche lui décocha un regard furieux et Blancrochet, de son côté, toisa ce gamin qui se permettait des réflexions.

— Oui, on entre, jeune homme, quand on a fait ses preuves une épée à la main… et tu ne me parais pas encore en être là…

— Un peu de patience, cela viendra, riposta Jean-Marie sans se troubler.

— À moins que ta langue ne soit clouée du premier coup. Pour l’instant, on veut bien t’accueillir en compagnie de nos bons amis Cocardasse et Passepoil, mais si tu étais seul, tu trouverais la porte fermée…

Berrichon ricana :

— Demandez voir au gros, là, comment je m’arrange pour me les faire ouvrir…

— C’est bon, assieds-toi et laisse-nous causer. Allons, les amis, dites-nous un peu ce qui nous procure l’honneur de votre visite ?… Ce brave Cocardasse ! Cet aimable Passepoil !…

Cette amitié dont excipait Blancrochet avec tant de fracas paraissait fort louche au Normand, qui était loin de s’en trouver honoré et craignait déjà que son ami, toujours trop sensible à la flatterie, donnât tête baissée dans un panneau.

Quand celui-ci n’avait pas trop bu, sa langue avait un régulateur : c’était le genou d’Amable qui heurtait de temps en temps le sien et l’avertissait qu’il allait dire une bêtise.

Pour l’instant, il avait toute sa lucidité d’esprit et n’était accessible qu’aux compliments, outrés à dessein par le bretteur qui connaissait son faible. Il n’en avait pas moins conscience qu’il fallait user de prudence et c’est pourquoi il résolut de laisser prendre à Passepoil la responsabilité de la conversation.

— Té, dit-il, adressez-vous à ce cher Amable. Pour moi, j’ai le gosier si sec qu’il ne me serait pas possible de parler avant d’avoir bu cinq ou six gobelets de ce vin qui me paraît délicieux… Vas-y, ma caillou, donne un peu à ces messieurs un échantillon de ton éloquence.

— Soit, acquiesça Blancrochet, vous êtes si bons amis que les pensées de l’un sont évidemment les pensées de l’autre.