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LA PEUR DES BOSSES

Toutes s’ingéniaient à calmer les inquiétudes d’Aurore ; celle-ci en arriva à se bien trouver de ces distractions qui donnaient un autre cours à ses pensées et durant lesquelles elle entendait, non sans orgueil, chanter les louanges de son fiancé.

Cocardasse et Passepoil étaient grandement honorés du rôle qu’ils avaient à jouer. Le dernier surtout éprouvait un certain charme aux compliments de nombre de jolies femmes, pour qui les compagnons de Lagardère étaient des héros.

Cependant les prévôts, aux heures où l’encens des admirations ne montait pas trop à leur cerveau, ne pouvaient s’empêcher de songer à l’envers de la médaille, lequel leur représentait une humiliation dont ils n’avaient pas encore tiré vengeance.

Un peu de liberté eût fait parfaitement leur affaire. Ce fut donc pour eux une grande joie le jour où Chaverny leur annonça que Mlle  de Nevers et doña Cruz ne sortiraient pas et qu’ils étaient libres de leur après-midi.

— As pas pur ! songea Cocardasse ; on va rire un brin tout à l’heure.

En effet, quelques instants après, Passepoil, Berrichon et lui se dirigeaient vers la Grange-Batelière, bien décidés à mettre à profit leurs loisirs. Ils ne savaient pas encore comment ils s’y prendraient pour arriver à leurs fins, cependant tout faisait présumer que ce jour-là les épées ne seraient pas baptisées avec du vin.

Les trois hommes cheminaient fort gaiement.

À la porte de Richelieu, Cocardasse ayant eu la chance de reconnaître dans la personne du chef de poste, le même sergent qui s’y trouvait déjà pendant la fameuse nuit, ce leur fut une excellente occasion de vider en passant quelques gobelets et de se jurer une amitié réciproque.

Le Gascon présenta son ami Passepoil, vivant et souriant, bien qu’ils l’eussent cru mort, ainsi que Berrichon, très fier de boire avec des gardes françaises.

— Au cas où l’on vous tendrait encore par là quelque piège, leur dit amicalement le sous-officier, tâchez de nous dépêcher quelqu’un pour nous prévenir. Le plus grand nombre de mes hommes ne seraient pas fâchés d’aller voir un peu ce qui se passe par là. Ce sont des amusements qui font paraître les gardes moins longues.

— Grand merci de l’attention, riposta le Gascon en lui serrant la main. Quand mon petit prévôt et moi nous nous mêlons d’accorder les violons pour de bon, la danse des racailles elle ne dure pas bien longtemps, cornebiou !

En traversant la passerelle qui franchissait l’égout, les prévôts ne purent s’empêcher de jeter un coup d’œil tristement éloquent sur les eaux boueuses qui leur rappelaient un si pénible souvenir. Toutefois, ils ne jugèrent pas opportun de se communiquer leurs impressions en présence de leur élève qui marchait entre eux deux avec des airs conquérants. À tout instant, il portait la main à sa rapière pour s’assurer qu’elle était bien à sa place, et ne souhaitait rien tant que l’occasion de la tirer au grand soleil.

Il se trouva précisément que la Paillarde était assise au seuil de sa porte. Elle ne douta pas qu’ils vinssent en droite ligne chez elle, et elle se hâta de se lever pour se précipiter au cou d’Amable.

Malheureusement, les sentiments du tendre pourfendeur avaient changé du