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LA PEUR DES BOSSES

Les cavaliers mirent leur monture au trot et leur carrosse reprit sa route.

Les prévisions pessimistes du prince touchant le financier Taranne et le noble Montaubert ne devaient pas se réaliser.

Bien qu’ils fussent à pied, leurs compagnons ne purent les joindre sur le chemin pour la bonne raison qu’ils avaient obligé un batelier à les descendre par la Tamise jusqu’à Wilsable, ce qui leur épargnait plus des trois quarts du chemin.

Tout bohémiens qu’ils paraissaient être, ils s’étaient montrés cependant plus scrupuleux que leurs bons amis les faux pèlerins, et avaient dédommagé le bonhomme de son temps et de ses peines.

Vingt-quatre heures après leur départ de Londres, vers la tombée de la nuit, tous nos associés franchissaient individuellement les portes de Douvres et se retrouvaient derrière le fameux château, de fondation romaine, qui domine le keep ou donjon construit par Henri II.

Là, Peyrolles se mit de suite en mesure de fréter des barques qui, dès le surlendemain matin, à la pointe du jour, devaient conduire chaque groupe au delà de la Manche.

Il se chargea de plus de vendre les chevaux volés par Oriol et de Batz, au grand désespoir de ceux-ci, qui comptaient bien en empocher l’argent.

Mais l’intendant, moins prodigue, le destinait à l’achat du fameux ours qui devait être le compagnon de Montaubert et de Taranne.

Or, c’était un article fort difficile à trouver, même dans un port de mer. Si les singes, les perroquets et autres bêtes exotiques y foisonnaient, les Pyrénées avaient négligé d’envoyer là quelques échantillons de leur faune.

Pendant tout le jour qui suivit leur arrivée, il traîna derrière lui ses deux bohémiens, auxquels il voulait du bien. Ces pauvres gens, expliquait-il à qui voulait l’entendre, venaient de perdre leur gagne-pain à Londres, un ours magnifique qui avait roulé dans la Tamise et s’y était noyé.

Vainement il offrit une somme relativement importante à qui lui amènerait la bête apprivoisée qu’il cherchait ; le soir vint sans qu’il eût rien trouvé.

Tout arrive cependant à point pour les coquins. À l’auberge de Dover castle, où était descendue la bande vinrent s’attabler deux hommes qui prétendirent connaître le seul ours qui existât à Douvres, et le connaître d’autant mieux qu’ils en étaient les gardiens. Par malheur, l’ours n’était pas à vendre.

Peyrolles les fit causer et apprit tout ce qu’il voulait savoir. Un riche original, en même temps savant naturaliste, avait doté Douvres d’une sorte de muséum où il avait pu réunir déjà, de ses propres deniers, une douzaine d’animaux de l’Apocalypse, pelés et galeux, qui n’en faisaient pas moins bonne figure dans ce pays où ils n’avaient pas à craindre la rivalité.

Un vieil ours, promené jadis dans tous les coins de l’Europe par une troupe de saltimbanques, était venu s’échouer là et se préparer à y mourir sous le poids des années. C’est-à-dire qu’il ne demandait pas à en sortir, d’autant plus qu’avec un éléphant poussif, il faisait les délices de la marmaille et du bon peuple de Douvres.

Les deux gardiens, trop bien traités par leurs nouveaux amis qui semblaient s’intéresser si fort aux richesses du muséum, ne tardèrent pas à rouler sous la table, ivres de gin et de whisky. On les y laissa consciencieusement dormir.

Pendant ce temps, trois ou quatre roués, accompagnés de M. de Peyrolles, propriétaire par intérim des clés dérobées aux ivrognes, pénétraient dans le