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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Le brobriédaire t’un gefal, murmura de Batz, c’est celui gui l’a endre les champes. Gachons-nous terrière ce puisson et un goup de pâton sur la dêde des hommes… les gefaux sont à nous.

Ainsi firent-ils. Leur tentative par trop téméraire leur eût probablement attiré pour le moins des horions s’ils se fussent trouvés en présence des gens résolus.

Le hasard voulut qu’ils eussent affaire à deux vieux laquais simplement armés de gourdins.

Surpris dans un demi-sommeil provoqué par la cadence de l’allure, ceux-ci furent bien vite désarçonnés et jetés sur la route. Néanmoins, quand ils se furent relevés et s’aperçurent que leurs adversaires n’étaient autres que deux pèlerins, ils ne se contentèrent pas de protester et usèrent de leurs gourdins.

Oriol s’était empressé de saisir les chevaux par la bride, tandis que le baron de Batz faisait de terribles moulinets avec son bâton ferré et tenait tête aux deux hommes stupéfiés d’entendre tous les jurons de l’enfer sortir de la bouche d’un dévot qui s’en allait en pèlerinage.

La bagarre ne fut pas de longue durée, et quand Gonzague arriva sur les lieux, les laquais étaient étendus dans le fossé, fort endommagés et crachant leurs dents, ce qui les empêchait tout au moins de crier : « Au voleur ! »

Quant à Oriol et au baron, la conscience en paix, ils venaient d’enfourcher tranquillement les deux bêtes et s’en allaient vers Douvres.

La tête penchée à la portière de son carrosse pour surveiller la route, d’un coup d’œil le prince de Gonzague avait deviné ce qui venait de se passer.

Aussi, au moment où la voiture allait dépasser les deux apprentis fripons, donna-t-il l’ordre de retenir son attelage et cria-t-il sur un ton de colère :

— Eh bien ! qu’est-ce que cela ? Est-ce ainsi que vous entendez votre rôle, et pensez-vous que vous allez agir de la sorte lorsque vous serez en France ?

À cette voix bien connue, de Batz et son compagnon s’arrêtèrent net, assez embarrassés de leur personne et surtout de leur réponse.

Toutefois l’Allemand n’était jamais pris de court :

— Trôle t’itée ! mâchonna-t-il avec aplomb. Nous ne sommes bas engore en Vrance et ce pon M. de Beyrolles à tit…

— Plus bas ! plus bas ! souffla le prince qui ne tenait pas à satisfaire la curiosité déjà mise en éveil du cocher anglais.

— Et surtout pas de nom ! ajouta l’intendant.

— Blus pas et bas de nom, répéta docilement le baron ; che feux pien. Tonc on nous a tit que nous étions resbonsaples te nos agtes.

— Ils sont jolis, vos actes, à ce que je puis en juger par ces deux pauvres diables que vous venez de mettre à mal, fit Gonzague avec humeur.

— Je parierais que ce gros petit saint leur a donné l’absolution, dit à son tour Nocé qui ne s’était pas montré encore et qu’Oriol fut stupéfait d’apercevoir là.

— Ils n’en ont bas foulu, répliqua de Batz avec son gros rire, ils ne sont bas te notre relichion.

— Sais-tu au moins quelle est la tienne ?

— Ya ! Celle qui tit te brendre ce dont on a pesoin guand on le drouve…

— Corbleu ! tu la mets en pratique, grogna Gonzague. Puisque le mal est fait, marchez donc devant et surtout prenez garde que Montaubert et Taranne, qui vous précèdent, ne viennent à trouver vos chevaux à leur goût.