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COCARDASSE ET PASSEPOIL

le cauteleux personnage combinait à part lui ce qu’il aurait à faire si le prince venait à manquer, et de ses réflexions était ressortie cette décision qu’il ne devrait, en aucun cas abandonner la partie et continuerait la lutte, coûte que coûte, pour son propre compte.

Il n’en répondit pas moins avec une humilité feinte :

— Je m’étonne que vous vous mépreniez ainsi sur le sens de mes paroles, monseigneur. Vous avez pourtant appris à connaître la mesure de mon dévouement et vous allez pouvoir encore le mettre en parallèle avec les autres…

— Desquels veux-tu parler ?…

— De ceux de vos gentilshommes…

— Mes gentilshommes m’obéissent sans raisonner, et tu raisonnes, toi, plus souvent que tu n’obéis.

— Je vous conseille néanmoins de les tenir serrés, surtout Nocé, Montaubert et Taranne… Les autres ne comptent que comme nombre…

La parole de l’intendant fut coupée par une brusque secousse que subit la voiture, en même temps qu’une tête s’encadrait dans la baie de la portière pour crier avec force :

— À titre de coquin, peut-être comptez-vous pour trois, vous, monsieur de Peyrolles !… En tout cas, notre dévouement coûte moins cher au prince de Gonzague que le vôtre et il est plus loyal.

Le factotum terrifié s’était, dès le premier mot, rejeté au fond du carrosse tandis que le prince portait la main à son poignard pour se mettre en défense ; mais il n’en eut pas besoin, et se mit à rire en reconnaissant la voix de Nocé.

— Eh ! comment vous trouvez-vous là à écouter ce que nous disons ? demanda-t-il.

— Pardieu !… il y a beau temps que nous y sommes, La Vallade et moi. Nous n’aimons pas à marcher à pied. Lorsque nous avons vu passer votre carrosse, il nous a semblé que les deux places des laquais d’arrière étaient vides et que nous pouvions les prendre.

— Mais par quel moyen avez-vous pu nous reconnaître ?

— Oh ! répliqua Nocé, aucun sortilège n’a été employé, vous pouvez m’en croire. Les comédiens nomades de notre espèce s’embarrassent de peu. Avec mon poignard j’ai fait un trou dans la paroi de la voiture, ce qui m’a permis en même temps d’entendre la voix de M. de Peyrolles et d’apercevoir sa nuque qu’un peu plus ma lame aurait chatouillée.

Il éclata de rire au nez de l’intendant, outré de tant d’impertinence, mais qui n’osait souffler mot, et il reprit :

— Nous avons pu ainsi entendre ce bon M. de Peyrolles dire tout le mal qu’il pense de nous, ce dont nous le savions capable. Nous le lui pardonnons volontiers pour ce qu’il nous permet de lui servir de laquais d’occasion et de ménager nos jambes.

— Reprenez votre place, dit Gonzague en riant, nous en serons quittes pour nous taire.

— Grand merci, fit Nocé. Dès que le jour poindra, nous descendrons de notre perchoir. Il ne serait pas convenable que des gens de qualité parussent avoir des bateleurs pour valets.

Il se hissa de nouveau auprès de La Vallade et colla vainement son oreille au trou qu’il avait fait. Gonzague et ton factotum semblaient dormir chacun dans son coin