Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
COCARDASSE ET PASSEPOIL

doute possible de nous en procurer un à Douvres ou vous-mêmes à Cherbourg.

Il avait dit cela tout bas, fort peu rassuré sur le succès de sa proposition. Il le fut moins encore lorsqu’il regarda Montaubert.

L’exaspération de celui-ci arrivait à son paroxysme.

— Inutile de chercher si loin, grogna-t-il. Si nous devons montrer un ours, nous voulons que ce soit M. de Peyrolles.

— Et nous le ferons danser, ajouta Taranne.

L’intendant leur glissa un regard terne. Il ne jugea pourtant pas à propos de se mettre en colère :

— Si j’ai choisi pour vous ce rôle, murmura-t-il, c’est pour le bien commun, et non pas à la légère. Il est des circonstances où un montreur d’ours ne peut empêcher sa bête de se jeter sur quelqu’un et de l’étouffer… Monsieur de Montaubert, comprenez-vous que je ne puisse me charger de cette besogne ?

— Allez, messieurs, conseilla Philippe de Mantoue en se levant, on n’attend plus que vous. Je vais frapper les trois coupa et le rideau qui se lève ce soir à Londres se baissera bientôt à Paris sur le dénouement sanglant.


III

VOYAGE ORIGINAL


Les uns après les autres, de façon à n’éveiller l’attention de personne du dehors, les commensaux de Gonzague quittèrent la maison que celui-ci avait louée, dès son arrivée à Londres, dans le haut quartier de la ville, aux environs du square actuel qui porte le nom de Grosvenor.

Quant aux deux ou trois laquais qui avaient été pris à gages, l’intendant s’était empressé de les congédier sitôt que, le départ décidé, les roués s’étaient transformés ainsi que nous l’avons vu.

Il sortit donc le premier, en compagnie de son maître et après avoir mis la clef dans sa poche. Nul n’avait besoin de venir voir s’ils étaient toujours là, du moins tant qu’ils n’auraient pas gagné le large.

Tous deux s’en allèrent ensuite chercher un carrosse qui pût les conduire à Douvres. Ils n’eurent pas grande difficulté de s’en procurer un, grâce à la rémunération qu’ils offraient et beaucoup aussi à leur costume.

Car il arrivait souvent que les marchands d’Amsterdam ou des villes hanséatiques qui s’en venaient à Londres pour leurs affaires étaient eux-mêmes propriétaires et armateurs du bâtiment qui les amenait jusqu’à l’embouchure de la Tamise. Aussi leur grande fortune leur permettait-elle de grosses dépenses qui faisaient d’eux les bienvenus dans la capitale britannique.

Il n’y avait donc rien de surprenant à ce que Gonzague et son intendant se fissent voiturer jusqu’à Douvres. Mais il n’en eût pas été de même pour les gentilshommes de sa maison, transformés en histrions, pèlerins et bohémiens, attendu qu’il eût été vraiment singulier de voir d’aussi petites gens rouler carrosse.