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LA PEUR DES BOSSES

avait pu trouver de plus riche en étoffe et en broderies. Le costume de Philippe de Mantoue paraissait aussi frais que s’il eût été fait de la veille, et les tons, qui en étaient seulement un peu éteints, ajoutaient encore à son cachet.

Un long poignard damasquiné, retenu par une chaîne d’argent, pendait à la ceinture. Rien d’ailleurs n’était plus facile que de dissimuler d’autres armes sous l’ampleur du vêtement, quand bien même les deux hommes n’eussent pas été décidés à garder leurs épées.

— Pardieu, dit le prince après s’être laissé docilement habiller, nous voilà faits comme des ambassadeurs. Je ne serais pas surpris qu’un de ces soirs le Régent nous invitât à souper et nous ne ferions pas si mauvaise figure à sa table.

— Ce ne serait pas là sa meilleure idée, murmura Peyrolles en dissimulant une grimace. Plus nous nous tiendrons éloignés de lui et mieux cela vaudra.

Gonzague demanda :

— Et les autres ? Je pense que tu ne nous as pas habillés tous de même sorte ? Nous serions obligés de marcher en caravane ?

— J’aurais été trop simple de commettre pareille sottise, monseigneur, et je crains même que d’aucuns ne soient pas satisfaits de mon choix.

— Par exemple ! Je le voudrais bien voir, gronda l’Italien. Plus la diversité sera grande et plus nous aurons de chances d’éviter les recherches indiscrètes. Mais appelle ces messieurs pour qu’ils entrent immédiatement dans leurs costumes et dans leurs rôles. Ce sera une répétition à huis clos. À Paris, nous aurons des spectateurs autant et plus que nous n’en voudrons.

Les roués demeurèrent bouche bée devant Philippe de Mantoue et son intendant, lorsqu’ils furent introduits en leur présence. Si le premier ne leur eût adressé la parole, ils se fussent demandé ce que leur voulaient ces deux inconnus engoncés dans leurs fourrures.

— Messieurs, leur dit Gonzague, quand je vous conviais jadis un à bal masqué, ce n’était que pour une nuit. Je ne sais combien de temps durera celui-ci dont l’originalité consistera dans la maigreur de nos danseuses.

— Sacramen ! risqua le baron de Batz, nous aurons tonc tes tanseuses ?

— Oui bien ! nos épées ! Et j’ai tout lieu d’espérer que les meilleurs accords de notre orchestre seront donnés par des cris d’agonisants, car la comédie qui commence doit fatalement tourner au tragique.

Hélas ! c’était aussi l’avis des roués. Le monceau de défroques, entassé dans un coin de la pièce et dont il leur allait falloir se vêtir, n’était pas fait pour charmer leurs regards.

— Pour la besogne que nous allons faire, dit M. de Peyrolles à son tour, comme il ne serait pas bon d’être isolés, non plus que de former des groupes, tous nous seront accouplés deux par deux… Après cela, ne soyez pas trop surpris de ce que vont devenir les gentilshommes que vous êtes encore pour l’instant, car bientôt il ne vous en restera plus que la dignité et le courage… Cela vous suffira pour un temps.

En ce moment, la curiosité l’emportait dans l’esprit des roués. Ces préparatifs mystérieux les laissaient vaguement inquiets, d’autant plus qu’aucune discussion ne leur était permise. Gonzague venait, une fois de plus, de décider de leur sort, ainsi qu’il l’avait fait depuis qu’eux-mêmes s’étaient mis à sa remorque, et ils eussent été mal venus à protester. Ils faisaient donc contre fortune bon cœur, en attendant de savoir ce qu’on voulait d’eux.