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COCARDASSE ET PASSEPOIL

le prix ; bien des pourparlers s’échangèrent avant que les deux robes de bure, accompagnées des chapeaux, des bâtons et des coquilles, allassent rejoindre dans le paquet ce qui y était déjà, à savoir des ustensiles de jonglerie et des hardes de bateleurs, faites de pièces et de morceaux.

— Ce n’est pas tout, reprit Peyrolles. Il me faut deux autres costumes de riches marchands d’Amsterdam, et je doute que tu puisses me les procurer.

Le bonhomme eut un sourire en dessous :

— Si Votre Seigneurie ne les trouvait pas chez moi, ce serait inutile de chercher ailleurs. Il n’est rien que je ne puisse vous fournir sur-le-champ et je crois avoir votre affaire.

Ce disant, le juif conduisit sa pratique à travers le dédale des objets disparates, riches ou sans valeur, qui encombraient son échoppe. Tout au fond du magasin, à la lueur douteuse d’un quinquet qui exhalait une suffocante odeur d’huile rance, il ouvrit un grand coffre de bois muni de fortes serrures, dans lequel étaient couchés des vêtements de drap fin, garni de fourrures.

Il n’y avait pas seulement deux habillements complets, mais bien cinq ou six. Peyrolles, par-dessus ses vêtements, essaya un grand manteau bordé de loutre, se coiffa d’un énorme bonnet fourré et se regarda dans un miroir d’acier qui se trouvait à sa portée. Il était méconnaissable.

Sa trouvaille le satisfit au point que ce fut à peine s’il en discuta le prix.

Les deux coquins, à savoir le juif et lui, se quittèrent également satisfaits l’un de l’autre. Seul le valet, qui ployait maintenant l’échine sous son énorme fardeau, ne parut pas vouloir se mettre à l’unisson de la satisfaction commune, il ne fallut rien moins qu’un supplément de salaire octroyé par Peyrolles pour le tirer de sa mélancolie.

On a déjà deviné, sans doute, ce que l’intendant voulait faire de ces différents objets.

Les costumes de marchands hollandais étaient pour Gonzague et pour lui. Il devait répartir les autres entre les roués.

Toutefois, il avait négligé jusqu’à présent de prendre l’avis de ceux-ci et n’était pas sans inquiétude pour le cas où le rôle qu’il allait assigner à chacun ne serait pas à sa convenance. L’autorité du maître seule pouvait trancher la question et faire que ces nippes ne lui restassent pas pour compte.

Voulant donner le bon exemple, il gagna son appartement et commença à endosser le déguisement qu’il s’était réservé ; puis, ayant fait porter tous les autres chez Gonzague, il parut lui-même devant son maître qui l’accueillit par un rire homérique.

Grâce à des onguents dont il avait enduit son visage glabre pour en effacer les rides, on pouvait aisément donner vingt ans de moins au seigneur Peyrolles.

Tout fier de son succès, et lorsqu’il eut fini de se faire admirer sur toutes les coutures, il conseilla sur un ton de bon apôtre :

— À votre tour, monseigneur ; je me suis rajeuni, vous vous vieillirez, et le diable m’emporte si le bon peuple de Paris ne nous fait pas des ovations pour être venus de si loin chercher quelques brimborions à la foire Saint-Germain.

— Corbleu ! riposta Gonzague, tu n’es pas souvent plaisant ; cependant je ne saurais aujourd’hui te cacher ma satisfaction. Soyons marchands, Peyrolles et surtout menons bien nos affaires ; notre banqueroute à nous ne serait pas de celles qui se réparent avec de l’argent.

Inutile de répéter que le factotum avait choisi pour son maître tout ce qu’il