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LA PEUR DES BOSSES

pour son compte et dans un but unique. Quand nous nous réunirons, ce ne sera plus pour festiner avec les dames de l’Opéra et nos conciliabules ne se tiendront jamais au Palais Royal. Nous descendrons à la cave, messeigneurs, et ce ne sera pas pour boire.

Le gros Oriol, et d’autres avec lui, estimait que la vie dans un trou, terrés comme des rongeurs, était une perspective tout au moins dépourvue de gaieté.

Leurs figures s’étaient allongées d’une aune et sans en excepter un seul, ils eussent préféré que Gonzague leur demandât d’aller décrocher la lune.

— La Seine n’a-t-elle donc plus de charmes pour vous ? ricana celui-ci. Tudieu ! nous n’avons encore joué que moitié de la partie et Lagardère tenait des atouts en mains. Nous avons trop montré nos cartes : l’heure est venue de tricher.

— Ce sera dangereux pour qui s’y fera prendre, murmura Nocé.

— Je n’en disconviens pas. Des mains resteront peut-être clouées sur la table. Qu’importe ?… s’il reste au moins un joueur pour faire sauter la coupe et le Bossu le matin du jour où celui-ci sera prêt à monter à l’autel…

De gaîté de cœur, Philippe de Mantoue les sacrifiait d’avance.

Ils le comprenaient vaguement.

D’ailleurs, l’idée de recommencer la lutte contre Lagardère, en plein cœur de Paris qui leur était fermé à eux, tandis que le comte de Chaverny pouvait agir au grand jour, n’était pas faite pour inspirer aux roués une bien grande joie ; aussi, personne ne se plaignait plus, à cette heure, des brouillards de la Tamise.

Ce soir, messieurs, acheva Gonzague en les congédiant d’un geste souverain, si vous avez des adieux à faire, profitez du temps qui vous reste. Plus d’un parmi vous ne reverra jamais Londres…

« Ah !… j’oubliais !… qu’aucune défection n’ait lieu, je vous prie… Quiconque n’est pas avec moi est contre moi, vous savez. Or pour marcher de l’avant, mon principe est qu’on ne doit laisser personne en arrière… Un tiède ami vaut moins qu’un ennemi et voici ce que j’en ferais…

Un geste significatif acheva sa pensée.

Les roués se retirèrent la tête basse, comme un troupeau de bétail qu’on va mener à l’abattoir.

— Ils dansent, donc ils paieront, disait Mazarin.

Philippe de Mantoue avait, au sujet de ses roués, un raisonnement presque semblable.

— Il n’y a que deux moyens de les tenir, fit-il dès qu’ils furent dehors : l’argent et la terreur. Ils tremblent, donc ils se battront. Tant que la menace de Lagardère se dressera devant eux, ils se grouperont autour de moi et la peur les rendra braves.