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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Serait-ce dans les Pays-Bas ? demanda Montaubert à son tour.

— Ou peut-être en Allemagne ? vausse manèfre ! interrompit avec une grimace le baron de Batz, à qui souriait peu la perspective de revoir sa patrie. Il y avait laissé de fort méchants souvenirs et quelques comptes à régler.

Tous les pays connus y passèrent et quelqu’un même lança le nom d’une ville barbaresque. Gonzague les laissait dire et riait sous cape.

— Pauvres devins que vous faites, dit-il. Demandez-le plus tôt à M. de Peyrolles.

On sait que les roués détestaient celui-ci et il leur déplut fort que ce fût lui, en partie du moins, l’arbitre de leur destinée. Aussi personne ne jugea-t-il à propos de lui poser une question, ce qui n’empêchait pas leurs yeux d’interroger quand même.

L’intendant voulut jouir de la supériorité que lui donnait la conception d’un plan dont ils seraient les exécuteurs et, pendant plusieurs minutes, il les tint en haleine :

— Serait-ce donc que le lieu vous serait indifférent, messieurs ? demanda-t-il enfin de sa voix cassante et sèche. Personne ne paraît plus avoir hâte de le connaître, puisque c’est moi qui dois vous le dire.

Un silence glacial lui prouva qu’il disait vrai, et le rictus sardonique dont d’ordinaire s’ornait sa face, s’y épanouit dans toute sa laideur.

Il croisa ses mains derrière son dos et lança en toisant les roués :

— Ce soir-même, mes bons messieurs, nous partons pour Paris !…

— Le Régent nous fait grâce ! s’écria le gros Oriol qui ne put retenir cette exclamation de joie.

Gonzague haussa les épaules :

— Je te conseille d’aller le remercier en arrivant, fit-il, si tu veux finir tes jours dans un cachot. Philippe d’Orléans nous veut toujours tant de bien qu’il songe à nous accorder notre pardon dès qu’il sera dans l’autre monde.

Tout le monde, sur le premier moment, avait un peu partagé l’opinion d’Oriol. Il fallait bien en rabattre. Aussi les visages qui, tout d’abord s’étaient éclairés d’un sourire, prirent une teinte presque livide.

Philippe de Mantoue les enveloppa d’un regard d’épervier et demanda avec une nuance de dédain dans la voix :

— Eh quoi ! ne vous sentez-vous donc pas de taille à vous promener au nez de la police ? Le Régent s’amuse ; Machault, qui nous croit loin, ne songe plus guère à nous… Quand les chats s’endorment, la danse des rats commence…

Cette boutade ne fit sourire personne.

Gonzague reprit, après avoir joui un instant de leur stupeur :

— Nous allons danser la danse macabre durant laquelle il importera de se tenir hors de la portée des griffes… On dirait que cela ne vous sourit guère, mes gentilshommes ?

— Nous y laisserons nos oreilles, murmura Nocé.

— À toi de les garer, l’ami. Les miennes valent bien les tiennes, je suppose, et je ne crains rien pour elles.

— Nous n’aurons pas franchi les murs, appuya Montaubert, que nous serons signalés et arrêtés. Une bande comme la nôtre ne se compare pas à des rats, elle ne passe pas dans leurs trous.

— C’est pourtant ce qu’il faudra faire et jouer au plus malin, cela chacun