Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
COCARDASSE ET PASSEPOIL

La solution ne lui parut pas douteuse, car il emboîta bientôt le pas à son compagnon, lequel venait d’avoir la malencontreuse idée de s’en aller rôder vers la Butte-Montmartre, précisément du côté de la courtille Coquenard.

Les gens les plus avisés ont de ces inspirations terribles qui les poussent à se diriger précisément vers l’endroit auquel il eût mieux valu tourner le dos.

On n’est pas maître de son destin ; et les deux prévôts, qui ne doutaient de rien depuis qu’ils étaient au service de Lagardère et qu’ils se sentaient de l’argent dans leurs poches, fussent allés au diable si l’idée leur eût pris qu’ils y trouveraient quelque agrément.

Pour le moment, ils se contentèrent d’escalader le sommet de la Butte, d’où Cocardasse s’avisa de trouver Paris beaucoup plus petit qu’il ne le pensait.

— Capédédiou ! s’écria-t-il, si jamais il venait à quelqu’un l’envie de fermer au pitchoun et à nous autres les portes de la ville… eh, sandiéou !… nous mettrions la ville dans nos poches !…

Ce beau discours, peut-être un peu écourté, mais éminemment expressif, eut pour conséquence immédiate de donner une soif d’enfer au Gascon, qui apercevait à quelque distance les guinguettes de la Grange-Batelière.

— Oïmé, ma caillou !… nous sommes ici un peu trop près du soleil et ma langue déjà elle se recroqueville ; cela me paraît par là légèrement plus frais. Or, vois-tu, mon petit prévôt, un peu de fraîcheur au dehors et beaucoup en dedans, c’est la santé de l’homme.

Par contrecoup digne de remarque, il arrivait souvent que, là où se rafraîchissait la langue de Cocardasse, c’était le cœur du tendre Amable qui se mettait à flamber.

Cela ne les empêcha pas de dévaler tous deux côte à côte et très joyeusement vers la courtille Coquenard.


II

À L’AUBERGE DU TROU-PUNAIS


Cocardasse et Passepoil, toujours si bien d’accord dans les circonstances les plus graves de leur vie, et alors que leur existence était en danger, ne l’étaient généralement pas quand il s’agissait de futilités.

Si l’un voulait aller à droite, l’autre préférait tirer à gauche. Ce n’était nullement avec l’intention de se contredire, ni de se chamailler, mais simplement parce que l’un cherchait avant tout le bon vin, l’autre le beau sexe. Quand ils trouvaient les deux réunis, aucune contestation ne s’élevait entre eux.

Ce ne fut pas le cas à la courtille Coquenard où leur étoile venait de les faire arrêter.

Ayant d’un côté le cabaret de Crèvepanse, de l’autre celui du Trou-Punais, ils se trouvaient, suivant l’expression consacrée : entre deux-selles, assis par terre.