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— En l’an soixante-neuf… voilà une année fertile en bonnes aventures ! En l’an soixante-neuf, Pierre Gillot, de Tours en Touraine, qui monte à ma cellule et me conte des histoires à dormir debout, mariage du dauphin en projet et de la duchesse en semi. Je donne là dedans, comme un vieil innocent que je suis. Pierre Gillot me tire les vers du nez et me fait nommer portier… Pierre Gillot était le roi de France !

— Merci de moi ! voici la pluie ! s’écria-t-il ; spectre ! je sais bien que tu es l’âme de Fier-à-Bras l’Araignoire.

— On ne peut rien vous cacher, mon frère dit la voix qui s’étouffait dans un éclat de rire.

— Les défunts ont-ils donc tant de gaîté ? grommela Bruno, pris d’un doute.

— Quand ils furent d’un caractère joyeux en ce monde mortel, oui, mon frère.

— Ceci paraît plausible, fit le moine ; veux-tu des prières ?

— Une prière n’est jamais de trop.

— Tu en auras. Que Dieu te garde !

— Restez, s’il vous plaît, mon frère ; je veux encore autre chose.

Les gouttes de pluie, tombaient, larges comme des écus.

— Dis ce qu’il te faut ! s’écria le moine avec impatience.

– Il me faut l’entrée du couvent pour mon ancien compère Jeannin et ses hommes d’armes.

— Impossible !

À peine ce mot était-il prononcé, qu’un éclair fit le jour dans la plaine. Quelque chose bondit hors du buisson de saules en poussant un cri bizarre et inhumain. Le pauvre frère perdit le souffle. Le quelque chose était sur sa nuque, et deux objets qu’on pouvait prendre pour des jambes lui serraient le cou vigoureusement.

En général, les esprits n’ont point de jambes. Mais au fond, sait-on bien précisément les choses de l’autre monde ? Frère Bruno chancela ; ses genoux fléchirent ; il se prosterna la face contre terre. En cette position, les deux jambes posaient commodément leurs pieds sur le sol.