Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
BERTHE PLANAT

de sa natte brune à reflets clairs, qui retombait par derrière en un simple catogan, disait la force de la vie ; mais c’était une vie déjà touchée par la fatigue, comme l’attestaient la ligne mince des joues, la gracilité du cou et de la nuque, la sveltesse amaigrie du buste penché sur la table. Les mains, très belles, avaient une énergie presque masculine, qui se retrouvait dans le menton un peu fort, comme dans le front large et puissant où brûlait une flamme d’intelligence virile. L’ensemble, pourtant, restait très féminin, par l’élégance frêle de la taille, la souplesse mesurée des gestes et ce je ne sais quoi de trop délicat qui appelle la protection. L’étudiante était simplement, presque pauvrement mise ; mais son col était d’une irréprochable netteté. Les manchettes de lustrine noire qu’elle avait eu soin de passer à ses bras pour préserver sa robe et ses poignets dénonçaient un souci d’épargne à la fois et de tenue, répandu d’ailleurs sur toute sa personne. Ses pieds étaient finement chaussés de souliers à talons plats, qui en découvraient les jolies attaches. Cette apparition d’une fille de cet âge et de cette beauté, dans ce cadre d’un laboratoire intellectuel et dans cette attitude d’une ouvrière d’idées, était bien faite pour surprendre d’abord, pour intéresser ensuite un garçon de vingt-trois ans, très laborieux lui-même, très intellectuel et chez lequel des convictions tout idéologiques avaient comprimé, jusqu’ici, les ardeurs du cœur et des sens. Les femmes qui composaient le monde de sa mère avaient trop déplu à Lucien, les unes par leur frivolité, les autres par leur niaiserie. Les créatures galantes qu’il avait pu connaître dans la compagnie de ses camarades l’avaient dégoûté par leur vilenie. Des réalités de