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UN DIVORCE

saient sous des rayonnages. Sur des planchettes s’allongeait la file des reliures en toile grise ou noire brutalement numérotées. Sur les tables de bois souillées d’encre s’entassaient les journaux et les revues. Il se revoyait lui-même, attendant les ouvrages qu’il avait demandés et considérant d’un regard distrait les quelques lecteurs clairsemés dans la salle. C’est alors qu’il avait remarqué, dans l’angle de droite, à côté de la fenêtre du fond, la jeune fille occupée à prendre des notes dans un fort volume posé devant elle. Son joli et pâle visage aux traits fins exprimait cette fervente application des véritables tâcherons de bibliothèque, pour qui rien n’existe dans les instants de travail, que l’objet actuel de leur étude. Durant l’heure entière que Lucien, saisi par la grâce et le mystère de cette physionomie, demeura à l’examiner, tout en affectant lui-même de lire, pas une seule fois les yeux de l’inconnue ne se détournèrent de la besogne entreprise. Ses paupières attentives étaient bordées de cils très longs, presque bouclés, dont la nuance sombre s’harmonisait à ses prunelles, détachées sur la blancheur de son teint comme les taches brunes des yeux sur les fonds décolorés des anciens portraits. À de certains moments de réflexion plus intense, et lorsque, ayant lu un passage important, elle se préparait à en faire le résumé, ces paupières se relevaient, son regard fixait sa pensée. Elle mordillait l’extrémité de son porte-plume, et ses dents apparaissaient, blanches et bien rangées, entre ses lèvres qui se fermaient aux coins dans un pli amer. Elle avait ôté son chapeau et la forme ovale de sa tête intelligente se dessinait sous ses cheveux, divisés par une raie. L’épaisseur