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BERTHE PLANAT

tesse de l’axiome posé par le plus grand clinicien politique du dix-neuvième siècle : « L’homme est entraîné par la société. » L’avenir décidera si ce courant va vers le progrès ou vers cette décadence, barbarement, mais énergiquement définie par le même philosophe : une déconstitution.

Lucien de Chambault avait rencontré Berthe Planat pour la première fois, dix mois auparavant, dans un cabinet de lecture, situé à l’angle de la rue Monsieur-le-Prince et de la rue Antoine-Dubois. Cet établissement, célèbre depuis des générations dans le Quartier Latin, a la spécialité des livres de science. Aussi ses clients se recrutent-ils tous parmi les habitués de l’École pratique, à laquelle il est presque adossé. Lucien y était entré par hasard, ayant des notes à prendre dans un ouvrage de médecine légale, pour une conférence qu’il préparait, sur le « Droit de punir ». Il devait la prononcer dans un petit cercle que certains de ses camarades avaient fondé, rue Champollion, à deux pas de la Sorbonne, sous un vocable qui résume une époque : L’Impératif Catégorique ! Ce simple détail l’indique : le beau-fils d’Albert Darras n’avait pas grandi impunément dans l’atmosphère de vague religiosité philosophique, familière aux dirigeants intellectuels de la troisième République. Lucien appartenait par toutes ses idées à l’élite de cette génération, née aux environs de 1880, en qui se manifeste déjà le résultat d’un enseignement institué au rebours de nos traditions. Le gros de la troupe se compose de brutaux arrivistes. Le reste constitue un état-major inquiétant d’esprits mal équilibrés chez lesquels un sens critique, aiguisé jusqu’à la sécheresse,