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UN DIVORCE

avec Mlle Planat, par un besoin passionné de trouver dans chacun des épisodes une nouvelle preuve que le diffamateur, quel qu’il fût, n’avait pas dit vrai. Qu’il s’était complu de fois, depuis qu’il aimait, à ces évocations rétrospectives, quand il allait rejoindre Berthe, ou quand il la quittait, jamais avec cette fièvre, et sans cesse un soupir lui montait aux lèvres : — « Mon amie ! Ma chère amie !… » Ou bien c’était, proférée à voix haute, cette exclamation : — « Non, c’est impossible !… » Contre quoi s’insurgeait-il avec cette violence ? Était-ce seulement la difficulté d’énoncer à la jeune fille les calomnies qui lui suggérait ce cri ? Ou bien jetait-il cette réponse à ces calomnies elles-mêmes au nom des souvenirs émanés de toutes ces rues ? Ils se faisaient de plus en plus nombreux, à mesure que le fiacre approchait de ce Quartier Latin où s’étaient déroulées les scènes de leur roman. Cette idylle entre un étudiant en droit et une étudiante en médecine avait été bien simple en son fond. Pourtant, elle ne se fût jamais produite à un autre moment de l’histoire de nos mœurs, avant que la logique du principe révolutionnaire d’égalité ne se fût attaquée à la plus antique des coutumes : cette différence d’éducation entre les sexes à laquelle une allusion a déjà été faite. Pareillement le drame des dissidences religieuses qui allait bouleverser le ménage des Darras eût-il jamais eu lieu, voici vingt-cinq ans ? L’une et l’autre analyse, si elle était poussée à fond, permettrait de mesurer le changement en train de s’accomplir dans notre pays, sous l’influence de lois dont les applications publiques atteignent par contre-coup les sensibilités privées. De tels exemples prouvent la jus-